L’élégante séduction du charognard
Espaces naturels n°10 - avril 2005
Constant Bagnolini
Ornithologue, responsable zootechnique du Belvédère des vautours
En Lozère, depuis une terrasse d’observation, tout un chacun peut venir contempler les vautours fauves ou les vautours moines qui nichent dans la région depuis leur réintroduction. De temps en temps, on peut même apercevoir deux couples de vautour percnoptère, le seul vautour migrateur, revenu spontanément. Il avait disparu, lui, en 1955. La réintroduction de ces vautours est un succès unique au monde. Le vautour fauve a été lâché en 1981, le vautour moine en 1992, le Belvédère à ouvert quelques années plus tard en 1998 pour répondre a une demande du public.
C’est une drôle d’idée de concevoir un lieu pour observer la nature !
Pourquoi ? Quoi qu’il en soit, les gens ne nous ont pas attendus pour venir observer les vautours. Après leur réintroduction, l’adhésion du public a été immédiate. De nombreuses personnes venaient dans les Grands Causses 1. Nous n’avons fait qu’accompagner ce mouvement et leur permettre de mieux observer, sans déranger. Et de rencontrer des ornithologues aussi.
Nous ne sommes pas dans une approche scientifique, ou savante, nous sommes sur le terrain de la rencontre, de l’écoute, de l’art… Du cœur à cœur avec la nature.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
Il y a bien sûr une terrasse d’observation, avec des longues-vues mais également une salle de retransmission d’images. Trois caméras sont installées sur des reposoirs que les vautours fréquentent. Ces caméras sont commandées depuis le belvédère. Les visiteurs peuvent ainsi observer les vautours en direct, soit dans leur aire de nidification, soit sur une place de nourrissage. De temps en temps, nous déposons des animaux morts, principalement des brebis. Les gens peuvent alors assister à la curée. Et puis, il y a un espace muséographique, un ornithologue apporte des explications et répond aux questions.
Cela peut ressembler à la consommation
de loisirs, cette manière d’observer ?
Jamais, rarement… En fait c’est tout le contraire. Nous avons 32 000 entrées par an. Je peux vraiment témoigner que cette rencontre déclenche des « choses ». Je suis toujours frappé de ce que disent les gens après cette expérience. Leurs premiers mots sont toujours les mêmes : « C’est beau. » Nous leur avons permis de voir les choses sous un autre angle. C’est d’autant plus remarquable que les vautours sont associés à la mort, à la saleté. Or le seul fait de prendre le temps, le temps de regarder, le temps d’admirer, de se mettre en symbiose avec l’environnement, ouvre les esprits et affûte l’intelligence sensible. C’est vrai pour tous : les enfants, les adultes mais également les personnes âgées que nous pensions être un public plus consommateur.
Le Belvédère des vautours, c’est un temps de
rencontre.
Vous iriez jusqu’à dire que, depuis les premières réintroductions, quelque chose a changé dans l’inconscient collectif ?
En Lozère, c’est sûr, les vautours ont été démythifiés. Non seulement ils n’ont plus d’image négative, mais ils font aujourd’hui partie de notre patrimoine naturel. Leur silhouette plane désormais sur tous les dépliants touristiques. La Lozère, c’est avant tout la nature, or le vautour est devenu le symbole de cette nature libre.
C’est très intéressant de voir comment, en quinze ans, on a renversé la perception d’une espèce, comment s’est faite l’appropriation. Ici, les gens observent le vol des vautours pour avoir des indications sur le sens du vent et sur la météo. On partait pourtant de loin : les derniers vautours fauves ont été observés en 1940. Quant-à la disparition des vautours moines, elle remonte à la fin du 19e. Le travail de vulgarisation et de sensibilisation que nous avons mené, au Belvédère des vautours, a eu un rôle actif dans ce processus.
Vous traduisez bien comment les gens s’émerveillent pour cette nature qu’ils viennent observer, mais il y en a bien qui restent sceptiques et qui vous interrogent :
à quoi ça sert, toute cette énergie pour introduire quelques couples d’oiseaux ?
Effectivement, on m’interroge sur l’utilité de préserver les vautours. Je réponds que c’est notre rôle à nous, êtres humains, de sauvegarder ce qu’il y a sur Terre. Et nous, d’ailleurs, à quoi sommes-nous utiles ? Et puis, qui sait ? Actuellement par exemple, la recherche sur le Sida étudie les pouvoirs gastriques des oiseaux charognards. Nous avons encore beaucoup à découvrir.
1. Les réintroductions de vautours fauves (1981), puis de vautours moines, (1992) ont suscité un afflux touristique inattendu. Les élus s’en sont saisis, appuyés par la Ligue de protection des oiseaux et le Parc national des Cévennes. Le Belvédère des vautours, c’est la création de quatre emplois pérennes.