Se donner toutes les chances de réussir
Espaces naturels n°10 - avril 2005
Marc Cheylan
Maître de conférences à l’école pratique des hautes études
Albert Bertolero
Institut méditerranéen d’études avancées, Mallorca, Baléares
En France, mais aussi en Italie et en Espagne, plusieurs structures se sont engagées dans l’élevage de la tortue d’Hermann, sans réellement se préoccuper de l’essentiel : où lâcher ces animaux ? La médiatisation faite autour de ces élevages a, par ailleurs, dirigé l’attention du public et des décideurs vers une conservation ex-situ, au détriment de la préservation des populations sauvages. Au risque de provoquer, on peut dire que ces opérations de réintroduction ont retardé ou affaibli la protection des populations sauvages. Un parallèle peut d’ailleurs être fait avec l’ours des Pyrénées dont il n’a pas été possible de sauver la population native alors que l’introduction d’animaux slovènes est plutôt un succès. Ces expériences soulignent combien il est important de ne pas brûler les étapes. La protection des populations sauvages doit toujours être la priorité. La réintroduction est un pis-aller, lorsque la protection in situ a échoué.
Sur le plan technique, les projets de réintroduction doivent suivre le déroulement recommandé par l’UICN dans les documents de 1987 et 1996 : une étude de faisabilité, une phase préparatoire, une phase d’introduction, une phase de suivi. La phase de faisabilité devra, notamment, démontrer que les causes ayant conduit à la disparition ont été résolues et que le site réunit l’ensemble des conditions nécessaires à la survie d’une population sur le long terme. La phase de suivi démontrera que la population s’est bien établie sur le site et que ses chances de perdurer sont bonnes. Fort malheureusement, c’est généralement la phase trois (lâcher des animaux) qui reçoit le plus d’attention (et de budget !). Le plus souvent, on ne sait donc pas comment a été préparé le projet, ni si celui-ci a réussi. Or, justement, c’est cette information qui est capitale pour planifier de nouveaux projets.
Concernant la tortue d’Hermann, de nombreuses opérations de réintroduction ont été conduites dans le Var sans donner lieu à de telles évaluations, d’où la réticence actuelle du ministère de
l’Écologie face à ce type d’action. Grâce à des recherches menées en Espagne, on dispose d’un retour d’expérience permettant de cadrer ce type d’opérations et de les conduire au succès. Dans le Parc naturel du delta de l’Ebre en Espagne, un suivi de 14 ans (1991-2004) a été réalisé à la suite d’une réintroduction portant sur quatre-vingt-dix animaux lâchés entre 1987 et 2001. Ce suivi démontre le succès de l’opération : bonne survie des animaux adultes (supérieure à 90 % par an), reproduction des animaux nés en liberté (deuxième génération), taux d’accroissement de la population positif (supérieur à 1), saturation du site initial et colonisation de nouveaux sites.
Sur cette base, il est possible d’élaborer une grille d’évaluation permettant de juger du succès ou de l’échec d’une réintroduction chez la tortue d’Hermann. Cette grille (cf. tableau) comporte une évaluation à court, moyen, et long termes. En effet, la démographie de l’espèce (maturité sexuelle de 7 à 12 ans selon les populations, durée de vie supérieure à 50 ans) impose un certain recul qui ne peut guère être inférieur à 10-15 ans pour le moyen terme et supérieur à 20 ans pour le long terme. Ces délais posent évidemment un problème de taille : celui des financements et de la pérennité des politiques ! Cela veut dire que de tels projets doivent concerner des sites gérés de façon durable, avec des budgets durables et une politique durable, toutes choses aujourd’hui bien difficiles à trouver !