Noé, père des réintroductions

 
Le Dossier

Jean-Louis Michelot
Consultant en environnement

 

Lorsqu’il ouvrit les portes de l’Arche, Noé ne savait pas qu’il effectuait la première réintroduction de l’histoire. Le travail était immense : la biodiversité risquait de souffrir de la catastrophe qui venait de frapper la planète. La méthodologie retenue était simple : un seul couple d’animaux pour reconstituer une population viable. Les formalités administratives furent également minimes. L’opération réussit pourtant brillamment !

Depuis ce précédent illustre, les choses sont devenues plus complexes…
Aujourd’hui, face à un ciel sans rapace, à une eau sans poisson, ou au désert laissé par un chantier d’aménagement, nous devons imaginer des solutions, souvent modestes, pour reconstituer un peu le patrimoine que nous ont légué nos parents (ou celui qu’ils ont dégradé !).
En premier lieu, il s’agit sans doute de laisser faire la nature. La capacité de colonisation des espèces, lorsque le milieu leur convient, ne lasse pas de nous surprendre ; pensons à la loutre dans le Massif Central, au loup dans les Alpes ou aux plantes sur la moindre friche.
La dynamique naturelle est parfois bloquée, pour des raisons multiples : obstacles à la circulation des espèces, explosion d’espèces concurrentes… Il peut alors être justifié d’intervenir, en réintroduisant les espèces disparues. Dans certains cas, le milieu physique lui-même a été dégradé, simplifié. Il ne s’agit plus dans ce cas de réintroduire telle ou telle espèce, mais de reconstruire l’ensemble d’un écosystème.
Après quelques décennies de lâchers empiriques, concernant souvent des espèces assez simples à manipuler, nous sommes entrés dans une période de réintroductions élaborées sur des bases scientifiques, accompagnées d’un suivi ambitieux ; il en est résulté des succès parfois spectaculaires (bouquetin dans les Alpes, vautours dans le Massif Central…).
Cette évolution est particulièrement positive, mais elle ne doit pas cacher le travail qui reste à accomplir, et notamment :
• Prendre en compte toute la dimension sociale des opérations. On sait que l’appropriation locale des réintroductions est l’une des conditions de leur succès. Au-delà, l’un des objectifs majeurs de ces opérations doit être de renouer la proximité, souvent perdue, entre la population et la nature ;
• S’intéresser à la nature ordinaire, et aux « lâchers ordinaires ». Pour un lâcher de vautours, combien de lâchers de perdrix ou de lièvres inconsidérés ? Pour une transplantation de plantes rares, combien d’engazonnements de talus d’autoroute ? Ces opérations apparemment anodines façonnent aussi notre biodiversité ; elles méritent le même sérieux que les opérations plus ambitieuses et soulèvent les mêmes questions préalables : ces espèces vivaient-elles ici ? Pourquoi ont-elles disparu ? Peuvent-elles vivre dans le milieu que nous leur offrons aujourd’hui ? Quelles seront les conséquences de leur présence future ?
La reconstitution de notre patrimoine naturel mérite d’être mise en valeur par des expériences exceptionnelles portant sur quelques espèces emblématiques ; elle
demande aussi et surtout un travail de fourmi sur l’ensemble des écosystèmes et des espèces qui les occupent.