Évaluer un sentier d’interprétation

 
Du parcours d’interprétation aux usages des visiteurs
Accueil - Fréquentation

Daniel Jacobi
Pôle culture et communication, université d’Avignon

 

L’équipement doit accueillir le grand public pour le sensibiliser aux qualités de ce patrimoine. Sempiternelle promesse, qui énonce les objectifs des concepteurs d’un parcours d’interprétation mais ne développe que rarement les attentes ou usages des publics.
Pourtant, on ne peut qu’être étonné par l’ambition, très élevée, que s’assignent les concepteurs : faire découvrir et mieux connaître des contenus scientifiques, faire apprécier et goûter les qualités sensibles ou esthétiques des mêmes objets et, surtout, transformer ou modifier les attitudes ou les opinions des visiteurs… Autant de vœux pieux. L’évaluation consiste, avec des méthodes et des approches puisées dans les sciences sociales, à explorer ce continent inconnu : qui sont les publics de ces sentiers de découverte aménagés ? Qui fréquente un parcours d’interprétation et comment est-il utilisé ? Et que retiennent de cette activité les petits groupes de promeneurs qui le parcourent ?
L’évaluation procède par étapes :
• Analyser les objectifs des concepteurs de façon à en dresser un tableau précis et objectif.
• Se demander si le dispositif traduit effectivement ses intentions, puis esquisser des hypothèses sur ses effets potentiels sur les catégories de visiteurs.
• Observer, rencontrer et faire témoigner les visiteurs ; analyser les données recueillies et les mettre en relation avec les caractéristiques sociologiques d’un échantillon aléatoire et raisonné ; au besoin comparer les usages et les réactions de ces visiteurs spontanés à ceux de quelques visiteurs experts et avertis.
À quoi peut servir l’évaluation ?
Produire des dispositifs d’interprétation n’est pas une fin en soi ; évaluer leurs modalités d’usage, de réception et d’appropriation par les différentes catégories de public permet de mesurer l’impact réel de l’équipement et l’écart éventuel avec les objectifs avancés. Les utilisateurs des parcours d’interprétation les apprécient en général et se réjouissent d’y avoir consacré du temps. Cependant, ce jugement cache mal l’extrême hétérogénéité des démarches vécues, de ce qu’ils disent avoir ressenti, compris et retenu. En effet, les dispositifs d’interprétation supposent que les personnes soient actrices de leur démarche ; ne disposant que d’informations rares et minimales (pour ne pas encombrer ou dénaturer l’espace), elles sont, le plus souvent incapables d’en repérer le propos.
Ainsi, à peine 15 % des utilisateurs du « sentier des ocres » (Lubéron) perçoivent qu’ils se sont promenés dans une ancienne carrière dont on a extrait des matières premières ; moins encore savent quand cette carrière a fonctionné ou à quoi servaient les pigments colorés. Seule une petite minorité de visiteurs de « Mémoires de garrigues » (Pont du Gard) retient que la garrigue est un paysage qui résulte de la rencontre entre un espace naturel, façonné par le climat méditerranéen et un sol
calcaire, et des activités agricoles et
pastorales.
Mauvais emplacements des repères et panneaux qui ne sont ni vus, ni consultés, textes et images trop elliptiques ou trop spécialisés, signalétique peu efficace, rythme de la découverte non réfléchi, absence de repères pour découvrir ce qui est promis, discours infantilisant, aménagements non adaptés aux familles avec jeunes enfants et poussettes : les erreurs de conception peuvent être de nature diverse. On en vient à se demander si les dispositifs d’interprétation peuvent effectivement être compris et ressentis au-delà du petit cercle des convaincus, qui possèdent déjà, par leurs connaissances préalables, leur culture et leurs habitudes acquises par des pratiques répétées de cette activité, la maîtrise des modes d’accès à leur contenu.
L’idéal serait d’évaluer d’abord un dispositif temporaire et de ne mettre en place le dispositif définitif qu’après cette démarche d’évaluation.