La faune face au feu
Espaces naturels n°12 - octobre 2005
Roger Prodon
Directeur d’études - École pratique des hautes-études
Marc Cheylan
Maître de conférences - École pratique des hautes-études
Face au feu, il n’existe pas de réponse type des animaux. Certains peuvent fuir avant même d’être atteints, ce qui suppose une bonne perception du danger et une locomotion rapide : seuls les oiseaux et quelques mammifères en sont capables. Cependant, l’observation directe montre rarement les mouvements de panique auxquels on pourrait s’attendre. Certains animaux peuvent gagner un refuge proche : terrier ou amas rocheux, mais la plupart des espèces, et notamment les invertébrés, restent passifs devant le feu.
La question de la mortalité induite est des plus difficiles. Pour la mesurer, il faut marquer et suivre individuellement les animaux avant et après le feu… De plus, il est impossible de distinguer la mortalité due au feu de l’émigration définitive consécutive à l’altération de l’habitat. Confondant les deux, on ne peut mesurer que ce que l’on appelle la « survie locale ». Estimée pour quelques petits mammifères et quelques passereaux, elle est en général faible. Un cas particulier est celui des tortues pour lesquelles on dispose de données plus précises, permises par le suivi à long terme de populations marquées. Dans le cas de la tortue d’Hermann, la mortalité instantanée est élevée puisqu’elle se situe généralement entre 60 et 88 %. Dans le cas de la tortue cistude, elle avoisine les 60 % dans les petits ruisseaux du massif des Maures, en partie à sec lors du passage des incendies.
La vitesse de reconstitution des populations animales dépend des paramètres démographiques de celles-ci. Les petits rongeurs comme les souris sauvages peuvent connaître une phase de pullulation post-incendie rapide aboutissant à des pics de surdensité. À l’inverse, les espèces longévives à faible taux de reproduction comme les tortues récupèrent très lentement voire pas du tout. De fait, la résilience faunistique dépend tout autant de la vitesse de reconstitution du milieu que des capacités reproductrices des espèces. Ainsi, le retour de la faune de la litière dépend de la formation d’une nouvelle litière issue de la régénération végétale post-incendie. De même, celui de l’avifaune est contrôlé par la vitesse de repousse des espèces végétales dominantes. On peut dire que les conséquences faunistiques du feu apparaissent plus souvent liées aux transformations du milieu qu’à la mortalité due au feu lui-même.
Quelles sont les espèces
les plus touchées par l’incendie ?
Là encore, il n’y a pas de portrait type, en dehors des tortues que leur grande taille, leur lenteur et leur faible taux de reproduction désignent comme victimes. Mais chez les oiseaux, comment expliquer que les roitelets soient sévèrement et durablement affectés alors que les pinsons ne le sont pas ? L’explication réside en des caractéristiques comportementales difficiles à identifier.
Il n’est pas évident que les espèces les plus rares, ou à situation démographique critique, soient obligatoirement les plus touchées. En dehors des tortues, on peut citer le cas de la sittelle corse, particulièrement mise à mal par les incendies récents ayant affecté les vieux peuplements de pins laricio. Inversement, tout un cortège d’espèces (oiseaux, reptiles, insectes…) liées aux milieux ouverts méditerranéens peut être favorisé par l’ouverture du milieu. Pour ces espèces, la fermeture des milieux constitue en effet une menace autrement plus importante que le feu. Le principal problème réside toutefois dans le maintien des espaces ouverts par le feu, qui est souvent de courte durée, et donc d’un intérêt limité pour la plupart des espèces.
La gestion des espaces naturels méditerranéens est donc confrontée à une double contrainte : celle de la lutte contre l’incendie et celle de la lutte contre la progression végétale ! Assez curieusement, les statistiques montrent que la progression de l’un ne réduit pas la progression de l’autre. C’est la structure des formations végétales qui évolue avec d’une part, embroussaillement des espaces ouverts d’origine anthropique (terres de parcours essentiellement) et, d’autre part, dégradation des structures forestières mâtures : vieilles futaies de chênes dans les Maures, vieilles forêts de pins laricio en Corse. En bref, l’incendie homogénéise et banalise les paysages méditerranéens, au profit de maquis et de garrigues à courte révolution. Pour le gestionnaire d’espaces naturels, toute la difficulté sera donc de conserver les éléments les plus originaux des écosystèmes méditerranéens, à savoir les milieux franchement ouverts et les milieux franchement fermés. Pour cela, la technique du brûlage dirigé peut être localement mise à profit, en association avec le pastoralisme qui reste la seule technique réellement à même de réduire et contenir, sur le long terme, les effets négatifs des grands incendies.