La Loire fraye avec la biodiversité

 
Le programme Loire nature entre dans sa troisième phase

Espaces naturels n°16 - octobre 2006

Aménagement - Gouvernance

 

 

 

 

 

Le programme Loire nature vise la gestion durable d’un fleuve et de ses affluents. Après quinze ans de travail, 2007 sonne le passage vers une troisième phase. L’occasion d’un coup d’œil dans le rétroviseur avec Bruno Mounier, directeur de la fédération des Conservatoires d’espaces naturels qui assure la coordination générale du programme.

Il y a une vie après les Life se plaît à révéler Bruno Mounier, directeur de la fédération des Conservatoires des espaces naturels. Ambitieux programme, Loire nature est effectivement l’enfant d’un programme Life. « Il n’était pas envisageable de s’arrêter là ». Loire nature voit donc le jour en 1993 (voir encart). Il constitue l’un des plus gros programmes de restauration d’un fleuve en France. Son objectif principal est d’assurer, sur des sites pilotes, la préservation et la gestion durable des écosystèmes de tourbières, de gorges, de forêts alluviales, plairies humides innondables… afin de maintenir leurs différentes fonctions écologiques. D’emblée, Loire nature relie les enjeux de la sauvegarde de la biodiversité et celle de la ressource en eau et des zones d’expansion des crues. Tout cela sur fond de développement économique dans une période de tension opposant les partisans d’un fleuve totalement sauvage à ceux d’un fleuve dompté et maîtrisé. Facile à dire…
Car ce qui impressionne tout d’abord, c’est la taille du territoire. Le bassin de la Loire couvre 1/5e du territoire national, neuf régions, trente départements et 5 600 communes. Il accueille quelque dix millions d’habitants : de très nombreux acteurs aux origines diverses et aux intérêts parfois contradictoires. La fédération des Conservatoires des espaces naturels, organisation coordinatrice du projet, positionne donc son rôle sur le développement d’ingénierie de projet et la cohérence des actions. « La gageure, explique Bruno Mounier, c’est de parvenir à inscrire des actions dans une dimension multiple. Il ne s’agit pas – seulement – d’échanger des expériences mais de faire en sorte que les acteurs acceptent de considérer les multifacettes d’un problème. Un exemple ? Celui de la gestion d’une
tourbière en tête de bassin Rhône-Alpes. L’action a été mise en relation avec la gestion de la rive de Loire moyenne. Cette relation est rendue effective par des moyens partagés de suivi scientifique, de communication. Les mêmes partenaires de bassin interviennent et soutiennent. Le syndicat des eaux, par exemple, car la question de la qualité des eaux est sous-jacente ; mais également les agriculteurs, car il est impensable de ne pas redéfinir le pâturage en bord de Loire.
Notre rôle est alors d’aider à construire une ingénierie de programme et une approche stratégique avec les partenaires publics et privés impliqués. Certes, dans une telle opération, les gens sont éloignés géographiquement mais ils finissent par parler le même langage, celui de la cohérence de bassin. »
Car il ne faut pas se leurrer, c’est là une difficulté importante. Chacun a tendance à se sentir d’un territoire et à plaider en sa faveur. À contre-courant, pourrait-on dire, le programme Loire nature a contribué à modifier cette perception et à créer une identité partagée : celle du bassin de la Loire. L’opération « Crépuscule de Loire », par exemple, s’inscrit complètement dans cet objectif. Un soir en juin, tous les ans depuis trois ans, les riverains de Loire et de certains de ses affluents sont invités
à venir aux bords de leur rivière, pour découvrir, sentir, observer et participer aux diverses animations organisées par des dizaines de structures… Le même soir au même moment ! L’idée peut paraître simple ! À Clermont-Ferrand, Limoges, Tours… les mêmes mots partagés… une image commune à tous. Mais ce n’est qu’un exemple, bien d’autres opérations visent à créer une identité commune, une appropriation de l’ensemble du bassin, un autre schéma mental où le territoire modifie ses frontières pour suivre le cours de l’eau.
Il en est ainsi également quand nous procédons à des points de comptage de mammifères avec l’Office national de la chasse de la faune sauvage. Nous rassemblons les informations de l’ensemble du bassin de Loire. Mais, surtout, nous utilisons le même protocole scientifique, les mêmes financements.
Une cohérence de bassin qui a pris corps. L’émergence de nouveaux porteurs de projets est un indicateur important de cette dynamique. Ce sont eux qui « frappent à la porte » avec la volonté d’entrer dans le dispositif. En Poitou-Charentes, par exemple, les syndicats de rivières se sont récemment manifestés. Ils nous ont affirmé, par exemple, un intérêt pour les protocoles scientifiques ou les expériences de gestion.
Que font alors, concrètement, les organismes qui coordonnent le programme et lui donnent sa cohérence ? Ils ont testé un mode de gouvernance, répond Bruno Mounier. « Certes, le projet est né sous une bonne étoile puisqu’il était à l’interface des problématiques de ressource en eau, de biodiversité, de gestion durable des zones humides. Il a bénéficié d’une réelle dynamique institutionnelle et
opérationnelle.
Mais il a fallu se mettre en ordre de marche. Dans ce but, et dès 2000, plus de cinquante zones sont définies. Réparties des têtes de bassins à l’amont immédiat de l’estuaire, elles sont le lieu d’actions concertées, initiées par des partenariats locaux publics, privés, associatifs très divers. Ainsi, mais ce n’est qu’un exemple, l’Établissement public Loire s’est associé avec la Ligue pour la protection des oiseaux afin de développer des produits pédagogiques en partenariat avec une académie. Chaque action s’inscrit dans une approche de bassin et bénéficie d’approches transversales dont les thématiques peuvent être du domaine scientifique, de la communication, de la pédagogie, du tourisme (voir encart). Cependant, pour que ces actions soient lisibles, le suivi et l’évaluation doivent, eux aussi, être partagés par tous les acteurs du bassin.
Nous avons travaillé sur l’évaluation et mis en place un monitoring. Nous publions un rapport chiffré qui montre à l’ensemble des acteurs, publics et privés, l’évolution du programme. Il démontre que les objectifs visés ne sont pas des vœux pieux mais qu’ils se traduisent en termes d’actions, de budget… et qu’ils sont évalués.
Nous avons également travaillé sur des outils partagés, j’ai évoqué tout à l’heure les outils de communication pour
l’action « Crépuscule Loire », mais nous avons aussi développé un certain nombre de protocoles scientifiques de suivi sur les amphibiens, les oiseaux… La plupart des informations sont partageables et téléchargeables depuis notre site Internet (voir En savoir plus).
Nous avons également travaillé à la mise en réseau et constitué un centre de ressources rassemblant – concrètement – des gens et des données. Où trouver de l’information ? Qui contacter ? Supposons que vous connaissiez une problématique de gestion d’une zone humide sur le bassin de la Loire, ou sur une tourbière en tête de bassin, ou sur une rivière en milieu de bassin, ou sur l’Allier… Nous avons identifié des expériences valorisables et des personnes ressources ; des laboratoires de recherches, des organismes publics, des porteurs de projet.
Ce centre de ressources vise également à créer des relations entre la recherche et la gestion. Nous mettons les gens en réseau afin qu’ils bénéficient de leurs expériences réciproques. Un moteur de recherche, permet l’accès facile et le téléchargement libre de plus de mille références.
Je ne sais pas si c’est beaucoup mais cela a le mérite d’exister. L’enjeu réside maintenant dans le fait de poursuivre l’action. À partir de ces douze années d’expérience, il va nous falloir démultiplier les actions, continuer à travailler afin que tout
cela soit connu. Le colloque prévu en novembre devrait nous y aider et faire transition avec la troisième phase du
programme qui sera lancée en 2007. »

Recueilli par Moune Poli