>>> Mise en place des documents d’objectifs

Natura 2000

 
La concertation, c’est possible

Espaces naturels n°1 - janvier 2003

Gestion patrimoniale

Alain MANGEOT
Directeur de l'association gestionnaire opératrice. Conservateur de la réserve naturelle de Nohèdes et, depuis 1995, chef de projet Natura 2000

La définition du document d’objectif (le DOCOB) est la première étape vers la mise en place d’un site Natura 2000. Les textes prévoient d’ailleurs que la concertation en est une des modalités essentielle. À Nohèdes, Alain Mangeot a réussi à conduire le projet en associant les acteurs locaux. Pour lui, il ne s’agit pas d’un exploit mais de l’application de savoir-faire et savoir-être dont “suivi” et “rigueur” sont les maîtres mots.

Pour faire court, et au risque d’être réducteurs, nous dirons qu’à Nohèdes, vous avez réussi à faire collaborer un grand nombre d’acteurs à votre démarche. Pourtant, au départ, Natura 2000 avait très mauvaise presse. Comment avez-vous géré ce handicap ?
Nous étions, il est vrai, dans un contexte très négatif. Les quotidiens locaux étaient extrêmement défavorables à Natura 2000, les gens disaient un peu n’importe quoi et prenaient parti contre. En fait, ils ne savaient pas de quoi il s’agissait. C’était la porte ouverte aux rumeurs et aux manipulations.
Cependant, en 1995, quand notre association a été retenue pour gérer le programme LIFE “Documents d’objectifs” elle avait déjà une légitimité. Un certain nombre d’acteurs locaux avaient un
a priori positif à notre égard. En effet, depuis que la réserve naturelle existe, nous avons tout mis en œuvre pour travailler avec eux. En 1989, déjà, j’avais entamé une réflexion pour agir au niveau du massif du Madres-Coronat (30 000 ha) et ne pas se cantonner aux limites de la réserve naturelle de Nohèdes (2 137 ha). Ensuite, à partir de 1993 et pendant plusieurs années, nous avons travaillé avec des techniciens agricoles dans le cadre expérimental des plans de développement durable. À l’époque cette vision territoriale était assez novatrice. Sans le savoir, nous faisions déjà du Natura 2000.
Cela ne veut pas dire que ça s’est passé facilement, mais, disons qu’on nous a laissé notre chance…
Une équipe parachutée n’aurait pas pu réussir ?
Une équipe parachutée, qui ne connaît pas le pays, qui ne connaît pas les mentalités, qui ne connaît pas la diversité des situations… ? Je crois que cela aurait été catastrophique. Nous, nous étions intégrés dans le tissu social et c’était un énorme avantage. Pourtant, je crois que la concertation relève surtout d’un état d’esprit. Pour travailler avec des acteurs d’origines diverses, je veux dire pour construire ensemble, il n’y a rien de compliqué, mais il faut se mettre à la place des gens, des habitants, avec leurs problèmes, leurs intérêts, leurs enjeux, leurs manières de percevoir les choses. C’est vraiment un principe de base : sur un territoire, toutes les couches d’activité sont légitimes. La difficulté, c’est de sortir du rapport de force. Les gens pensent que, s’ils ne sont pas durs, ils vont se faire avoir. Il faut les extraire de cette logique et, alors, ils deviennent partenaires.
Concrètement, comment avez-vous réussi à installer cet état d’esprit ?
Je ne vous le cache pas, nous avons préparé. Casser les causes de conflits, cela faisait partie des stratégies mises en place. Aussi, avant la date du premier comité de pilotage, nous avons restauré une ancienne prairie de fauche. Nous voulions présenter une action de gestion Natura 2000 aux participants. Nous voulions démarrer sur du concret.
Je me souviens de la première réunion ; il y avait quand même une centaine de personnes. Les gens se levaient, sortaient des blagues qui faisaient ricaner tout le monde… C’était infernal. Oui ,vraiment infernal. Et puis, il y a eu le diaporama de présentation de notre action. Alors là… Silence… Plus une mouche ne volait… Plus tard, un président de groupement pastoral s’est levé, il a dit : « Mais moi, des contraintes comme ça ! Moi j’en veux ! ». Les choses ont basculé à ce moment-là. Parce qu’on était allé sur le terrain, parce qu’on avait montré une fonction différente de Natura 2000, on a éveillé la curiosité. Mais cela aurait pu tout aussi bien tourner court.
100 personnes ? Vous avez mis en place un comité de pilotage géant !
3 départements, 2 régions, 23 communes, 3 ONF. Le comité de pilotage, c’est l’organe d’orientation politique, vous avez intérêt à n’oublier personne ! Nous avons également mis en place trois groupes de travail : forêt, pastoralisme et chasse, pêche et fréquentation touristique. La participation était basée sur le volontariat. Dans la réalité, les gens étaient très intéressés pour participer, beaucoup suivaient les travaux de plusieurs ateliers. Dans un premier temps, je pense que c’était simplement pour vérifier ce qui se disait ailleurs.
Ce travail est la clé de notre « réussite ». Des gens d’horizons divers qui n’avaient jamais l’occasion de se rencontrer, se mettaient tout à coup, autour de la même table. Parfois, les discussions s’établissaient entre membres de deux ateliers où il y avait des problèmes. C’était très intéressant, chacun était obligé de sortir de la défense de ses intérêts, obligé d’avoir une vision transversale.
Il y a beaucoup d’adversité et de conflits d’intérêts sur un site comme celui-là. Comment réussit-on à établir la confiance ?
La confiance : vous évoquez le maître mot de la concertation. Quand les gens ont confiance, ils participent, ils construisent. Sinon, au mieux, ils observent. Or là, c’était vraiment une présence constructive. Je crois que les gens ont commencé à avoir confiance quand ils se sont aperçus que leur parole était écoutée, entendue, retranscrite. C’est long, c’est lourd, cela demande beaucoup de va et vient mais, par contre, les participants sont devenus co-rédacteurs du document d’objectifs. Chacun s’en sentait alors auteur, responsable, défenseur.
Cette dimension méthodologique semble très importante...
Très. L’organisation est primordiale pour que le courant passe. Or cela demande beaucoup d’exigences, de compétences et de rigueur. La méthode ? Nous faisions une première rédaction des documents. Nous l’envoyions 15 jours à l’avance à l’ensemble des membres. Puis, lors de la réunion nous lisions le texte de la première à la dernière ligne. Chacun pouvait intervenir quand il le voulait pour faire préciser un point ou donner son avis. Certes, il faut un secrétariat vraiment performant car si les gens ne s’y retrouvent pas, ils disent que « c’est une concertation bidon ». Cela signifie également qu’une réunion doit être animée par plusieurs personnes. Il faut également une compétence particulière pour reformuler et relancer l’assistance. Respecter les horaires et les délais, c’est important aussi, parce que cela permet de revenir à l’objet de la réunion lorsque les discussions dérivent.
Par ailleurs, les participants doivent avoir un peu de pouvoir, ainsi le rapporteur de l’atelier était-il toujours désigné parmi eux. Ce porte-parole du groupe était invité pour rendre compte au comité de pilotage. Mieux que ça, les rapporteurs ont organisé des rencontres plus ouvertes. Nous étions d’ailleurs délibérément absents de ces réunions pour ne pas les marquer de notre influence.
Plutôt qu’essayer de gagner du temps au risque de créer des blocages, nous avons abordé les problèmes de front, jusqu’au bout. C’est très efficace.
Vous êtes en train de dire qu’il n’y avait aucune critique… ?
Il y a des gens qui sont restés opposants du début à la fin du processus. Mais c’était un positionnement critique qui nous a été extrêmement utile. Ces personnes voyaient des interprétations que nous n’avions pas vues. Elles nous ont permis d’avoir une analyse plus fine et d’être vigilant.
À vous entendre, on a l’impression que tout était négociable…
Tout était négociable, sauf les objectifs.
Les ateliers réunissaient beaucoup de monde, bénévolement, comment expliquez-vous la motivation de ces gens ?
Certains viennent pour défendre leur profession, leur activité, et une fois dans le processus, ils participent à la construction de quelque chose qui finit par leur appartenir. Je ne vous cache pas que nous y avons mis du nôtre. Nous avons travaillé les aspects conviviaux… Nous n’avons pas négligé, par exemple, la restauration : manger ensemble, c’est important, c’est sympa. Nous payions aussi certains frais de déplacement. « Soigner » les gens, c’est important. Il faut leur montrer que l’on donne de la valeur à leur présence et à leur contribution.
Ces gens, qui participaient aux réunions, étaient-ils vraiment de tous milieux ? Autrement dit avez-vous réalisé une véritable concertation ou bien, n’avez-vous rencontré qu’une certaine catégorie de population ?
Vous touchez du doigt la limite du système. Les gens salariés peuvent se déplacer assez facilement. Dès lors qu’on participe à une réunion dans le cadre de sa profession, il est assez facile d’être présent. C’est, par contre, plus compliqué pour des présidents de groupements pastoraux, des membres de fédérations de chasse ou de pêche qui prennent sur leur temps personnel.
D’autant que certaines personnes avaient plus d’une heure de voiture pour venir à ces réunions qui se tenaient pendant les heures ouvrables.
En revanche, je n’ai pas noté d’obstacle majeur en terme culturel. Le niveau n’était ni trop technique, ni trop scientifique, ni trop élevé. C’est sans doute que les personnes trouvaient leur intérêt : on parlait de leur profession ou ils découvraient des sujets nouveaux, c’était valorisant, c’était une ouverture.
Aujourd’hui, après ce long travail, diriez-vous que les gens connaissent plus de choses sur Natura 2000 ?
Oui, certes, ceux qui ont participé à la démarche. Mais il ne s’agit que d’une centaine de personnes sur les 2 500 qui sont concernées. ça, c’est un petit peu le problème… On espérait que les gens communiquent entre eux mais l’on s’aperçoit que les milieux restent étanches. Les représentants des associations, fédérations, associations, les élus… ont compris le concept, ils ne sont pas pour autant capables d’expliquer sa complexité aux gens du terrain.
Vous voulez dire que
la communication entre représentés
et représentants passe mal ?
Je veux dire qu’à mon avis, il faudra du temps pour aller jusqu’à la base… À moins de mettre des gros moyens, et de faire de l’animation dans les villages.
Très concrètement, où en êtes-vous dans l’avancement de vos travaux ?
On a validé le document d’objectif dans les délais, en janvier 1998, ça nous a semblé court mais le respect des délais nous paraissait primordial. De toute manière, nous étions confrontés au problème financier, il n’était pas question de poursuivre plus longtemps. Après cette date, le contrat du chargé de mission s’achevait.
Il nous faut maintenant définir un contenu technique à ce document : la charge à l’hectare, les dates de débroussaillage… Nous sommes donc en train de rédiger les cahiers des charges. Nous allons sur le terrain voir les propriétaires, une manière de poursuivre la concertation.

Propos recueillis par Nicolas Michel