Partenariats

Un plan national d'actions pour l'Albatros d'Amsterdam

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Gestion patrimoniale

Adrien Chaigne, adrien.chaigne@taaf.fr, Cédric Marteau, cedric.marteau@taaf.fr, Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, TAAF

Mobiliser les partenaires scientifiques et institutionnels pour la sauvegarde de l’Albatros d’Amsterdam, tel est l’objectif du Plan national d’actions (PNA) d’une durée de 10 ans piloté par la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises. Un plan ambitieux pour la protection d’une espèce endémique emblématique, et, plus généralement, pour la sauvegarde des oiseaux marins de l’île Amsterdam.

Pêcheries et agents pathogènes comptent parmi les principales menaces pesant sur les populations d'Albatros d'Amsterdam (Diomedia amsterdamensis). © Marine Bely

Pêcheries et agents pathogènes comptent parmi les principales menaces pesant sur les populations d'Albatros d'Amsterdam (Diomedia amsterdamensis). © Marine Bely

Ce n’est qu’en 1951 qu’est découverte une population d’albatros du genre Diomedea sur l’île Amsterdam, île subtropicale française de l’océan Indien. Elle sera décrite comme appartenant à une espèce à part entière en 1983 et nommée Albatros d’Amsterdam, Diomedea amsterdamensis. Cette nouvelle espèce endémique est alors au bord de l’extinction avec moins d’une dizaine de couples. Dès lors, des efforts sont entrepris pour protéger et restaurer l’espèce. Aujourd’hui, ses effectifs ne cessent d’augmenter. Au niveau mondial, les oiseaux marins constituent un groupe particulièrement vulnérable. Les populations d’oiseaux marins de l’océan austral, menacées par les captures accidentelles des pêcheries, la surexploitation des ressources halieutiques, les changements climatiques, les introductions d’espèces exotiques ou encore les maladies aviaires, sont globalement en diminution. Les Plans nationaux d'actions (PNA) sont des outils stratégiques opérationnels qui visent à assurer le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des espèces de faune et de flore sauvages menacées. Cet outil est mobilisé depuis 2011 pour l'Albatros d'Amsterdam dont le statut de conservation est jugé « en danger » par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

HARO SUR LES MENACES

Le premier PNA (2011-2015) s'est prolongé jusqu'en 2017 avec la réalisation du bilan technique et scientifique des actions. Ce dernier montre que la croissance continue de la population pendant la durée du premier plan mérite d’être relativisée par la faible taille de cette population (estimée à 210-220 individus en 2017) et la persistance de menaces potentielles, liées principalement aux pêcheries et aux agents pathogènes. Par conséquent, il a été décidé en 2018 de mettre en oeuvre un second PNA pour une durée de 10 ans. Les 17 actions de ce plan s’appuient, pour leur mise en oeuvre et leur financement, sur les actions du second plan de gestion de la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises (2018-2027), et sur la mobilisation des partenaires scientifiques et techniques impliqués dans la conservation de l’espèce. L’objectif principal est d’améliorer l’état de conservation de l’Albatros d’Amsterdam, en supprimant ou en réduisant les menaces qui pèsent sur la reproduction et la survie de l’espèce. L’Albatros d’Amsterdam, comme tous les procellariiformes1, passe l’essentiel de sa vie en mer et retourne à terre uniquement pour la reproduction. Ainsi, des objectifs ont été fixés sur la durée du second PNA aux niveaux marin et terrestre, à savoir :
• l’application la plus large des mesures d’atténuation des captures accidentelles dans les pêcheries de l’océan Indien Sud (notamment pour le thon) ;
• la préservation du risque de contamination par des organismes pathogènes, par le maintien des mesures de biosécurité sur le site de reproduction et la mise en place d’une stratégie de lutte efficace ;
• la limitation ou l’élimination des populations d'espèces exotiques animales potentiellement préjudiciables pour l'Albatros d’Amsterdam (Rat surmulot, Souris domestique, Chat haret) ;
• l’identification de potentielles menaces sur l'habitat de nidification de l'Albatros d’Amsterdam en vue d'éventuelles actions de restauration.

AMÉLIORER L’ÉTAT DES CONNAISSANCES

Le suivi à long terme réalisé depuis plus de 30 ans fournit aujourd’hui un indicateur fiable de l’évolution de la population. Néanmoins, les objectifs de gestion doivent impérativement s’accompagner d’objectifs en matière d’amélioration des connaissances portant sur : la poursuite du suivi à long terme de la population d’Albatros d’Amsterdam et la réactualisation des paramètres démographiques ; la compréhension des mécanismes épidémiologiques ; l’apport de connaissances complémentaires sur la distribution en mer des albatros et leurs relations avec les pêcheries ; et l’acquisition des connaissances sur le régime alimentaire de l’espèce. Dans la continuité du premier PNA, des études portant sur les mécanismes de transmission et de maintien des agents infectieux se poursuivent. Les premiers résultats montrent le rôle potentiel de disséminateur d’agents infectieux pathogènes de certaines espèces consommatrices des cadavres de poussins infectés (Labbe subantarctique, Rat surmulot). En parallèle, des tests de vaccination ont été initiés depuis 2013 sur les Albatros à bec jaune nichant à Amsterdam et donnent des pistes encourageantes pour une stratégie de gestion des épizooties à long terme. Les connaissances acquises constituent un préalable indispensable à la définition d’une stratégie efficace pour éviter toute infection et mortalité dans la population d’Albatros d’Amsterdam jusqu’à présent épargnée.

ATTÉNUER LES CAPTURES ACCIDENTELLES

Au niveau marin, la capture accidentelle par les pêcheries à la palangre2 est une menace majeure pour les albatros et les grandes espèces de pétrels. Le développement récent de balises Argos et GPS couplées à un détecteur de radar permet d’acquérir des informations à fine échelle sur le niveau d’interaction avec les pêcheries. Ces balises seront déployées sur des juvéniles lors de leur premier trajet en mer et sur des adultes. Cette action a pour objectif de déterminer si les Albatros d’Amsterdam s’approchent des navires de pêche et d’évaluer ainsi le risque de capture accidentelle pour les différents stades de vie de l’espèce. Les mesures efficaces d’atténuation des captures accidentelles par les pêcheries à la palangre sont aujourd’hui bien connues : filage de nuit, banderoles d’effarouchement et lestage des lignes. Ces mesures sont obligatoires dans les zones économiques exclusives des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Dans les eaux internationales du sud de l’océan Indien, couvrant la plus grande partie de l’aire de distribution de l’Albatros d’Amsterdam, l’application d’au moins deux de ces trois mesures est rendue obligatoire par certains organismes régionaux de gestion des pêches (CTOI). Toutefois, l’application des mesures d’atténuation par les flottes autorisées est peu contrôlée et reste insuffisante, et des pêcheries illégales persistent dans les eaux internationales. Toutes les informations collectées sur les interactions entre les Albatros d’Amsterdam et les bateaux de pêche permettront alors de mieux identifier les pêcheries pour lesquelles il est primordial de développer et de promouvoir l’application des mesures d’atténuation, aux niveaux national et international.

1 Ordre d'oiseaux de mer constitué de 4 familles et plus de 140 espèces vivantes.
2 La palangre est constituée d'un corps de ligne sur lequel sont fixés des hameçons. Dans certaines conditions, les palangres de fond peuvent prendre des oiseaux marins, attirés par les appâts lors de la mise à l'eau.