Inventorier les syrphes pour évaluer l’état de conservation d’un milieu

 

Espaces naturels n°33 - janvier 2011

Méthodes - Techniques

Cédric Vanappelghem
onservatoire des sites naturels du Nord et du Pas-de-Calais. Groupe Syrphes RNF


 

Quelques tentes Malaise implantées sur un site, un tri appliqué des insectes relevés, l’utilisation d’une base de données appelée Syrph the net. Voici comment évaluer l’état de conservation d’un milieu…

Elles ressemblent à des guêpes, ce n’en sont pas : les syrphes appartiennent à l’ordre des diptères1. Ces insectes, qui occupent des niches écologiques très diversifiées à l’état larvaire, ont permis de construire une méthode scientifique d’évaluation de l’état de conservation des habitats (cf. Espaces naturels n° 21).
Mais, parce que les syrphes sont difficiles à déterminer, parce que les outils utilisés semblent complexes, la commission scientifique de Réserves naturelles de France (RNF) a voulu tester cette méthode. Comment fait-on pour trier des individus ? La très grande majorité des gestionnaires intéressés ne connaît pas les syrphes. Bref, la méthode est-elle vraiment opérationnelle ? Pour le savoir, des gestionnaires de RNF et des Conservatoires d’espaces naturels ont œuvré, chacun sur leur site. Le groupe de travail s’échangeant trucs et astuces, désillusions et découvertes.

Définir tout d’abord un ou plusieurs habitats à évaluer. Deux tentes Malaise sont alors disposées dans des endroits stratégiques pour optimiser les captures des syrphes. On soulignera dès lors qu’une certaine connaissance de ces insectes est nécessaire. En effet, la portée de capture des tentes varie suivant l’environnement (jusqu’à plusieurs centaines de mètres).
Les tentes sont relevées à une fréquence variable : entre dix et trente jours, en fonction de leur capacité de capture et de la saison. Les relevés s’effectuent d’avril à septembre, les dates variant selon la situation géographique du site.

Les captures sont stockées dans l’alcool. Elles sont triées.
A minima, on sépare les syrphes des autres insectes. L’idéal voudrait que l’on puisse trier tous les groupes, et les faire déterminer, afin d’optimiser les nombreuses captures. Une opération qui, certes, nécessite d’obtenir la disponibilité de spécialistes !
Le tri constitue l’opération la plus fastidieuse, la plus longue aussi quand on manque d’expérience.
Les guêpes, les abeilles, les bourdons et même d’autres familles de mouches sont les cibles du
mimétisme des syrphes, ce qui désoriente un peu les débutants.
Et pourtant… cette phase est capitale car la pertinence de cette méthode d’évaluation repose sur la diversité des espèces observées. Ainsi, la non-reconnaissance de certaines espèces peu abondantes pourrait influencer l’analyse.

Le tri effectué, vient le temps de la détermination. Pour les gestionnaires naturalistes, la partie la plus excitante.
Concernant le nord de la France, des ouvrages de références, facilement accessibles, rendent la détermination plus aisée. A contrario, pour le sud, la documentation est plus dispersée. Mais globalement, cette détermination n’est pas insurmontable et si, pour certains groupes, le choix reste difficile, des spécialistes professionnels pourront (devront) être sollicités.

La phase d’évaluation proprement dite s’opère alors par le biais d’une base de données2 mise à disposition gratuitement. Appelée Syrph the net, cette base est actualisée annuellement par ses auteurs et au fur et à mesure des découvertes : plus on s’en sert, meilleure elle est.
Cette base de données écologiques et biologiques liste l’ensemble des espèces européennes et décrit leur affinité par rapport à des habitats (la typologie utilisée est très proche de la codification Corine-Biotope). Cette base de données renseigne également sur la distribution des espèces, leur niveau de menace à différentes échelles et les traits de vies spécifiques (mode de vie, durée de la phase larvaire, fleurs visitées, etc.).
À partir de la liste des espèces de syrphes inventoriées, la base de données permet d’établir l’inventaire des habitats existants autour des tentes Malaise.
Ayant listé ces habitats, l’outil informatique fait alors une péréquation et prédit l’ensemble des espèces de syrphes potentiellement présentes sur le site. Cependant, aussi complète soit-elle, cette énumération est déconnectée des réalités géographiques. Aussi, afin d’affiner la prédiction, cette liste est aussitôt confrontée aux espèces présentes dans la région considérée (administrative ou biogéographique).
L’exercice est aisé. Il s’effectue à l’aide de la base de données, laquelle synthétise les connaissances sur la présence des espèces par secteurs en Europe et en France.
C’est ainsi que le gestionnaire peut disposer d’une liste d’espèces prédites pour son site. Celle-ci tient compte à la fois de ses habitats et de sa situation géographique.

Reste à évaluer l’état de conservation du milieu. Celui-ci s’appréhende en comparant la liste des espèces effectivement observées et celle des espèces prédites par la base de données. En comparant les listes, trois groupes se
distinguent :
• les espèces au rendez-vous ;
• les espèces inattendues :  non prédites mais effectivement observées ;
• les espèces absentes : les espèces prédites mais non observées.
Plus le cortège se rapproche d’un cortège idéal (prédit), plus l’habitat est en bon état. Pour chaque habitat, on regarde la proportion d’espèces observées parmi les prédites. Au-dessus d’un certain pourcentage (généralement autour de 75 %) on peut considérer que l’habitat est en bon état de conservation.

A contrario, si le pourcentage des espèces observées n’est pas significatif, l’investigation se poursuit avec plus de finesse. Elle cherchera à savoir quel est le compartiment de l’habitat qui dysfonctionne. Pour cela, l’analyse portera sur l’habitat larvaire (eau, racine, feuille…). La liste des habitats larvaires étant, comme pour l’ensemble des habitats, fourni par l’outil informatique.
Dans une approche plus fine, mais de la même manière que précédemment, le gestionnaire s’interrogera sur la différence entre les espèces au rendez-vous et celles manquantes. Ainsi, par exemple, si en comparaison avec la prédiction, l’analyse d’un boisement fait apparaître une faible proportion d’espèces liées aux cavités d’arbres, on pourra en conclure que l’habitat présente des dysfonctionnements, avec l’absence d’arbres suffisamment âgés. Ceux-ci pouvant être en rapport soit avec la gestion (actuelle ou passée), soit avec la dynamique propre de l’habitat.
Par ce biais, la méthode permet non seulement d’évaluer l’état de conservation, mais également d’agir pour modifier la gestion.

1. Mouches, moustiques, taons. • 2. www.asters.asso.fr