Une espèce banale d’intérêt patrimonial
Espaces naturels n°22 - avril 2008
Jérôme Letty
Office national de la chasse et de la faune sauvage
Stéphane Marchandeau
Office national de la chasse et de la faune sauvage
Espèce commune, le lapin semble abondant. En réalité, il a fortement régressé en France depuis plus de cinquante ans et sa situation est précaire. Voici comment aborder sa gestion.
La mauvaise santé du lapin pose des problèmes pour la conservation de certaines espèces emblématiques. C’est le cas, en zone méditerranéenne (d’où le lapin est originaire), des prédateurs spécialistes ou fortement dépendants, tels le lynx ibérique, l’aigle impérial en Espagne, ou l’aigle de Bonelli en France. C’est également le cas, sur le littoral atlantique, du lézard ocellé qui utilise les terriers du lapin. La baisse de la pression de pâturage du lapin sur la végétation a aussi eu des répercussions sur la biodiversité et la dynamique de certains écosystèmes (dunes, pelouses). Enfin, il ne faut pas négliger l’aspect social lié à la chasse au lapin, pratique cynégétique très populaire en milieu rural et dont la pérennité est aujourd’hui souvent menacée par le déclin de ce gibier. Les enjeux liés au maintien du lapin dans nos campagnes sont donc importants.
Des objectifs réalistes
La situation actuelle du lapin est assez précaire puisqu’il demeure sous la menace permanente de la myxomatose et le VHD (maladie hémorragique), et que ses populations, aujourd’hui fragmentées, bénéficient bien moins du renfort naturel entre populations voisines pour se reconstituer rapidement. De plus, les difficultés techniques de la gestion cynégétique du lapin ne permettent pas une gestion fine des populations. Enfin, le lapin conserve l’image d’une espèce pouvant causer des dégâts agricoles et forestiers (il reste malgré tout des populations qui pullulent et causent des dégâts sérieux).
Pour parvenir à le réimplanter, il est tout d’abord nécessaire de combattre l’idée selon laquelle la seule présence du lapin suffit à maintenir les milieux ouverts ou, à plus forte raison, à ouvrir des milieux. Il ne faut pas se tromper sur la relation de cause à effet : le lapin a besoin de milieux ouverts pour s’installer ; ce n’est pas lui qui ouvre des milieux en s’installant. Il peut toutefois avoir un impact fort sur la végétation lorsqu’il est présent en forte densité, mais celle-ci peut baisser brutalement après une épidémie et ne pas remonter avant plusieurs années, période durant laquelle le milieu peut se fermer progressivement jusqu’à ne plus être favorable au lapin. De plus, même en nombre, le lapin n’arrive pas à endiguer certaines plantes envahissantes (ronces, fougères, chêne kermès…). Il peut cependant être un bon auxiliaire d’un entretien mécanique ou d’un pâturage domestique.
Des points de vue
à prendre en compte
Le lapin n’est pas le bienvenu partout du fait des dégâts qu’il peut causer : preuve en est, par exemple, la clôture spécifique exigée dans une zone agricole sensible le long de la ligne grande vitesse Est. L’acceptation du lapin par les agriculteurs est donc une condition nécessaire dans un plan de gestion intégrant sa présence.
Une étape importante est de définir l’objectif et l’échelle spatiale du projet. Un noyau de cent à cent cinquante reproducteurs semble être un minimum en termes de viabilité de population, soit quinze à vingt garennes réparties sur dix à vingt hectares. L’idéal est de constituer un réseau plus vaste de noyaux proches et interconnectés (métapopulation1). Les maladies auraient alors un impact plus limité, du fait d’une forte protection immunitaire induite – paradoxalement – par une meilleure circulation des virus au sein de la métapopulation.
Développer une population
Après l’étude de faisabilité, on peut passer à la phase pratique de terrain. Il faut savoir si le milieu convient au lapin ou s’il faut l’aménager. Les exigences écologiques de cette espèce de lisière et de milieu ouvert doivent être réunies sur son domaine vital (1 ha) : l’existence d’un sol drainant dans lequel le lapin peut creuser aisément des terriers et constituer ainsi des garennes qui servent à la fois de site de mise bas et de gîte pour un groupe social (cinq à dix adultes), la présence de zones de gagnage rases (pelouses) pour l’alimentation et, éventuellement, de couverts bas permanents offrant des gîtes supplémentaires et facilitant la fondation de nouvelles garennes. Lorsque ces éléments écologiques sont juxtaposés, le lapin peut se contenter d’espaces restreints tels les ronds-points ou les dépendances vertes d’autoroutes et de voies ferrées. S’il manque un élément, on peut y remédier en aménageant : garenne « artificielle » sur un sol hydromorphe, ouverture du milieu ou plantation de couverts. Un repeuplement de lapins de garenne sera envisagé en absence de population résiduelle suffisante. Pour y parvenir, il faut alors concentrer l’effort d’introduction sur une zone pour constituer un noyau viable qui sera ensuite étendu. Une solution potentiellement prometteuse serait de disposer un parc de reproduction servant de « tête de pont » au cœur du territoire à coloniser.
Ouvrir des perspectives
Le lapin demande donc des efforts de gestion sérieux, malheureusement pas toujours récompensés, notamment en cas d’épidémie sévère. Il est cependant possible d’atteindre des objectifs raisonnables en persévérant et en mobilisant les moyens adaptés. Le lapin mérite que l’on fasse ces efforts, pour lui-même et pour les espèces qui en dépendent, sans oublier l’homme. Le lapin devrait d’ailleurs être un élément fédérateur des efforts des différents acteurs de la nature : gestionnaires, aménageurs, agriculteurs et chasseurs. Ce pourrait être notamment le cas en matière de plan de prévention des incendies en zone méditerranéenne, le lapin pouvant trouver son compte à l’aménagement de clairières et de coupe-feu. On pourrait aussi imaginer que l’on accorde plus de place au lapin sur l’emprise des infrastructures de transport et que celles-ci deviennent ainsi des corridors écologiques, voire épidémiologiques, concourant à la viabilité globale de ses populations.
1. Une métapopulation est un groupe de populations d’une même espèce séparées spatialement. Elles réagissent réciproquement à un niveau quelconque. Les habitats favorables et défavorables alternent, et les animaux risquent leur vie s’ils essaient de passer d’un endroit à l’autre, si bien que les mouvements se réduisent.
En savoir plus
« Repeuplements de lapins de garenne. Enseignements des suivis par radio-pistage », Jérôme Letty et al., Faune sauvage n° 274, 2006, p.76-88.
>>> http://www.oncfs.gouv.fr/events/point_faune/mammifere/2007/FS274_letty.pdf
« Gérer le lapin aujourd’hui. Pour une approche dynamique et pragmatique », Stéphane Marchandeau et al., Faune sauvage (sous presse), 2008.