Un choix sans peine ?
Plutôt que de focaliser sur les questions juridiques, mieux vaut penser en terme de sécurité et de prévention et réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour éviter l’accident.
Ma responsabilité est-elle en cause en cas d’accident sur un site ? Légitimement, les gestionnaires d’espaces naturels s’interrogent et ce, d’autant plus s’ils organisent des activités d’accueil du public.
De fait, cette responsabilité peut effectivement s’envisager en termes de responsabilité civile (ou de responsabilité administrative selon les cas), dont les enjeux sont de réparer pécuniairement des dommages causés à une personne ; et de responsabilité pénale, dont les enjeux sont de sanctionner l’auteur d’une infraction pénale, telle que l’exposition d’autrui à un risque de mort, ou les blessures involontaires.
Mais les questions relatives à l’engagement de la responsabilité des personnes physiques ou morales ne peuvent recevoir de réponses théoriques, générales et péremptoires. Elles sont toujours apportées au cas par cas, au regard des faits et circonstances matérielles propres à un événement précis.
La responsabilité civile, par exemple, peut être engagée dans certains cas en l’absence même de toute faute de la part de celui qui va être désigné responsable. Un exemple classique est la chute d’une branche d’arbre sur la tête d’un visiteur. Depuis 1936, une jurisprudence constante considère que le sinistre provoqué par la chute d’un arbre (qui est juridiquement une « chose ») engage la responsabilité de son gardien, c’est-à-dire de celui qui a un pouvoir de contrôle, d’usage et de direction sur cette chose. Peu importe que le gardien n’ait commis aucune faute, dès lors qu’il est établi qu’un lien existe entre la chose et le dommage subi par la victime, et que cette chose a tenu un rôle actif dans la survenance du dommage. Certains éléments, dont la force majeure ou encore la faute de la victime, peuvent venir atténuer cette responsabilité.
Lorsqu’un accident survient, la responsabilité civile, notamment, ne s’appréciera qu’une fois apportées des réponses précises à un ensemble de questions. Parmi celles-ci : le danger était-il visible ou dissimulé ? Était-il signalé ? La victime se trouvait-elle sur un lieu autorisé à la circulation du public ou s’y trouvait-elle sans autorisation et sans nécessité ? La victime a-t-elle commis une faute d’imprudence ? Qui est, au sens juridique du terme, le gardien des lieux ou de la chose impliqués dans le dommage ? Ce gardien a-t-il mis en œuvre les moyens qui auraient permis d’éviter les accidents ?
Le risque zéro n’existe pas
Il peut être plus positif de penser sécurité et prévention et de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour éviter les accidents, plutôt que de se focaliser sur les questions juridiques de responsabilité.
Dans un espace naturel ouvert au public, les risques peuvent avoir différentes sources : le milieu lui-même (la présence d’une falaise, d’excavations cachées par la végétation…), le comportement des visiteurs (qui ne font pas toujours preuve de prudence ou qui n’ont pas forcément une bonne connaissance de la dangerosité potentielle du milieu), les équipements présents sur le site (destinés ou non à l’usage du public : observatoires de faune, digues…), les travaux liés à la gestion du site, l’organisation de sorties nature, ou encore la présence de troupeaux.
Une fois les risques identifiés, il est alors possible de réfléchir aux mesures de sécurité susceptibles d’éviter les accidents. Elles peuvent prendre des formes variées : informer efficacement le public, sécuriser particulièrement les lieux et les équipements spécifiquement destinés à son accueil, s’assurer de la compétence du personnel d’encadrement…
Il faut garder à l’esprit qu’un site ouvert au public oblige son gestionnaire à un devoir de prudence, et même à un devoir de sécurité s’il existe un lien contractuel avec le visiteur (organisation d’une visite guidée, par exemple).
L’important est de trouver un juste équilibre entre protection du patrimoine naturel et sécurité du public. Ceci sans tomber dans des exagérations sécuritaires qui conduiraient à ouvrir au public et sécuriser à outrance ou, à l’inverse, à fermer totalement un site de peur de l’accident et de ses conséquences juridiques. D’autant que le juge sait rester clairvoyant sur la difficulté de gérer un espace naturel et pour apprécier l’existence d’une éventuelle faute de la part de son gestionnaire. Il a considéré, par exemple, que « la forêt doit être considérée comme un milieu sauvage, naturellement hostile à l’Homme et dans lequel on ne
peut s’aventurer qu’avec prudence et circonspection » 1.
1. Cour d’appel de Besançon 23 février 1979, chambre civile arrêt n ° 108.