Quinze ans d’expérimentation

 

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Le Dossier

Éric Rigolot
Inra Avignon, Unité de recherches forestières méditerranéennes

 

« Le feu est un mauvais maître, mais un bon serviteur. » Ce proverbe finlandais marque bien l’opposition entre un feu sauvage et incontrôlé qui serait dévastateur et un feu domestiqué qui serait utile.

Alors que l’incendie indésirable et subi est vécu comme une perturbation majeure des écosystèmes méditerranéens, le feu contrôlé n’a-t-il pas sa place comme outil de gestion des espaces naturels ? Oui, répondent les responsables catalans de la prévention et de la lutte contre les incendies de forêt, qui ont décidé d’appliquer une politique de brûlage dirigé. Ils sont convaincus que plus ils sont efficaces à éteindre les incendies, plus les incendies qu’ils laissent échapper seront puissants et sévères. En effet, la lutte contre l’incendie a des limites, qui ne sont pas liées aux moyens engagés (toujours plus performants) mais au comportement exceptionnel du feu dans certaines circonstances catastrophiques.
Pour cette raison, ils ont décidé de mettre en œuvre une politique extensive de contrôle du combustible par le brûlage dirigé et de compartimentation des espaces naturels sensibles au feu. L’accumulation du combustible dans les espaces naturels des pays méditerranéens du sud de l’Europe est, en effet, une donnée structurelle, qui peut être contrebalancée par une politique de maîtrise du combustible. Le brûlage dirigé est l’une des méthodes prometteuses pour maîtriser le combustible sur ces zones, avec efficacité et au meilleur coût.
Une technique en pleine expansion
La pratique du brûlage dirigé est aujourd’hui confortée par la récente loi d’orientation forestière. Selon les années, 3 000 à 8 000 ha sont ainsi traités en France, principalement pour contribuer à ce que les surfaces incendiées diminuent à long terme. Du reste, l’accompagnement systématique de la pratique du feu pastoral par les cellules de brûlage dirigé permet de limiter les dérapages, à l’origine d’importantes surfaces incendiées en hiver et au printemps. Principalement utilisé pour la prévention des incendies, le brûlage dirigé trouve de plus en plus d’utilisations environnementales.
Le feu fait partie des écosystèmes des montagnes méditerranéennes, modelés par des pratiques agropastorales traditionnelles dans lesquelles il avait une place prépondérante. Dans un contexte où le rôle des agriculteurs en matière de gestion de l’espace et de protection de l’environnement est de plus en plus reconnu, des cahiers des charges de mise en œuvre du brûlage dirigé ont été rédigés en concertation avec la profession et commencent actuellement à être appliqués.
Les applications du feu domestiqué se développent également, pour la gestion des habitats de la faune sauvage. Ainsi, le brûlage dirigé est mis en œuvre par l’ONF dans le PNR du Luberon pour maintenir des milieux ouverts en faveur de l’aigle de Bonelli ou encore au Mont Ventoux comme outil de gestion en réserve biologique domaniale, dans le cadre de Natura 2000. Sur le petit Luberon, les suivis réalisés par l’ONCFS montrent l’intérêt, pour les oiseaux patrimoniaux, de la combinaison entre brûlage dirigé et pâturage ovin extensif. Dans le Caroux (Hérault), des brûlages sont réalisés pour favoriser l’habitat du mouflon. Dans l’Ardèche, le Conservatoire régional des espaces naturels réalise le suivi de la gestion de la tourbière des Narcettes, qui comprend, entre autres traitements, le brûlage dirigé.
Un besoin de recherches
Le recours accru au brûlage dirigé nécessite de faire des recherches relevant de l’écologie du feu, afin de mieux différencier les impacts du feu « domestiqué » de ceux des feux « sauvages ». Les premiers travaux ont montré qu’il s’agit de perturbations de puissances et de sévérités très différentes. Mais les études doivent également permettre d’affiner les prescriptions et les modes opératoires en fonction des objectifs poursuivis.
Des recherches sont menées dans les communautés à genêt purgatif des Pyrénées-Orientales, qui font l’objet d’une gestion intensive par brûlage dirigé et pâturage contrôlé depuis près de vingt ans. Elles montrent que cette technique est adaptée à une exploitation pastorale durable par des troupeaux bovins, que son impact est faible sur les communautés de sauterelles tant que les brûlages demeurent de faible intensité, et qu’il permet la conservation d’espèces de passereaux de forte valeur patrimoniale.
Dans des milieux plus méditerranéens, il est également démontré que les brûlages dirigés périodiques dans les milieux à pin d’Alep, chêne kermès et brachypode rameux modifient peu la composition spécifique, mais déstructurent les communautés de gastéropodes.
Enfin, l’acceptation sociale de l’outil feu ne doit pas être négligée. Ce qui revient à se poser la question de savoir si en région méditerranéenne, les populations ne doivent pas apprendre à vivre avec le feu… apprendre à mieux connaître son rôle, sa nécessité et ses dangers…