Paysage

Observatoire photographique : un outil pour la gestion

 

Espaces naturels n°60 - octobre 2017

Méthodes - Techniques

Clément Cygler

Grâce à un choix pertinent des points de vue et une inscription dans la durée, avec un pilotage et une animation adéquats, les Observatoires photographiques du paysage (OPP) peuvent devenir un outil de sensibilisation, d’aide à la décision et de suivi utile aux espaces naturels.

Commune de Baerenthal, roselière et espèces invasives.

Commune de Baerenthal, roselière et espèces invasives. © Thierry Girard

Effectuer des clichés à partir de « points de vue » sur un territoire donné, puis les reprendre à l’identique et à intervalle de temps régulier dans la durée : tel est le principe de la centaine d’OPP répartis en France.

« Lancés il y a plus de vingt-cinq ans pour mesurer l’impact des politiques publiques sur les paysages, les OPP sont devenus des outils de suivi minutieux des espaces et du cadre de vie. Une méthodologie est d'ailleurs proposée par l’État1 » indique Julien Transy, chargé de mission paysage au ministère de la Transition écologique et solidaire. Mais que peut réellement apporter un OPP pour un gestionnaire d’espaces naturels ? Pour certains, précurseurs comme le Cen Poitou-Charentes et quelques Parcs naturels régionaux (PNR), l’outil a rapidement été utilisé en lien avec la gestion de leurs espaces naturels.

Plus récemment, d'autres types d'espaces en ont mis en place : un conseil départemental pour un espace naturel sensible (Drôme), une agglomération gestionnaire de réserve naturelle nationale (Saint-Brieuc) ou encore une association (future Réserve naturelle régionale Confluence Garonne-Ariège).

PAYSAGE SOUS SURVEILLANCE

« Testé à la fin des années 1990 sur différents sites avec un angle purement paysager, il est apparu que l’outil pouvait avoir une pertinence pour la gestion de réserves naturelles par exemple », précise Jean-Philippe Minier, responsable de l’Antenne Paysage au CEN Poitou-Charentes.

Ces séries de photographies (entre vingt-quatre et deux-cents points de vue en corpus principal pour les OPP existants, quarante pour les OPP qui suivent la méthodologie nationale) représentent en effet un bon instrument d’observation des dynamiques paysagères. Certains points de vue peuvent être basés sur des photos anciennes, cartes postales par exemple, prises au début du XXe siècle, avant les transformations massives liées à l’intensification agricole, à l’étalement urbain, au tourisme de masse, etc.

Les dynamiques paysagères sont en partie maîtrisées par des actions de restauration et de préservation de milieux naturels. Les OPP peuvent alors permettre d’évaluer visuellement les effets des actions mises en oeuvre en application des plans de gestion. « Par exemple, l’OPP du golfe du Morbihan comprend un point de vue sur la dune de Penvins, partie du site Natura 2000 « rivière de Pernef, marais de Suscinio », choisi en 2005 pour suivre l’évolution de la végétation dunaire, soumise
à une forte fréquentation. Le point de vue permet de mesurer les effets des mesures de gestion entreprises, ainsi que le recul du trait de côte lié notamment au changement climatique. C’est d’ailleurs l’OPP dans ce parc qui a permis d’éclairer l’évolution du trait de côte et ses conséquences environnementales », indique Morgane Dallic, responsable du pôle Culture, patrimoines et éducation au Parc du golfe du Morbihan.

Pour que l’OPP soit utile à un espace naturel, un travail en amont est indispensable pour associer les points de vue aux problématiques environnementales et de biodiversité étudiées2. Ainsi, le volet « paysages sous-marins » de l’OPP du PNR du golfe du Morbihan a été conçu pour expérimenter un suivi de la faune et de la flore, des espèces exotiques envahissantes, de la recolonisation des milieux après aménagements (mouillages écologiques, travaux portuaires, hydroliennes, etc.)…

« Concernant notre OPP, les nouveaux points de vue (cent-soixante depuis la mise en place en 1997, qui s’ajoutent aux quarante du corpus principal) sont décidés par un comité de pilotage qui se réunit au minimum deux fois par an et qui comprend l’équipe du parc, le photographe, des élus et la Dreal. Comme c’est le même photographe depuis 1997, il possède une vraie connaissance du territoire et est lui-même à l’initiative de propositions de nouveaux points », détaille Romy Baghdadi, chargée de mission paysage au PNR des Vosges du Nord. Pour la moitié des OPP de France, le photographe est un prestataire externe.

OUTIL DE SENSIBILISATION ET DE CONCERTATION

Pour Jean-Philippe Minier, « la vraie utilité des OPP est dans l’animation et la concertation, car les élus, partenaires, habitants, etc. présents lors des réunions sont la plupart du temps immédiatement sensibles aux images ». Ces séries de photographies mettent en image une problématique et permettent de rendre compte réellement de l’évolution de celle-ci. Voir son paysage en photographie et à deux instants séparés d’une saison voire de plusieurs années vaut parfois mieux qu’un long discours et les actions à mener ou les décisions à prendre peuvent s’avérer ainsi facilitées. « Reste » à adopter un discours faisant le lien entre évolution de la biodiversité et évolution du paysage…
« Dans le cas d’un projet de restauration de la continuité écologique d’un cours d’eau par exemple, l’enlèvement d’un seuil est une action forte mais difficile à mettre en place du fait de tensions existantes avec les riverains et associations sur le sujet. La photographie devient alors un support de médiation, d’argumentation pour le grand public », indique Romy Baghdadi.

ÉVALUER LES DYNAMIQUES DE PRÉSERVATION ET DE RESTAURATION

Même si l’application d’un OPP avec un objectif « biodiversité » sur des espaces naturels (réserve naturelle, espace naturel sensible, « réservoir de biodiversité » de la Trame verte et bleue…) reste encore marginale, elle pourrait donc leur apporter beaucoup, notamment dans le domaine de la sensibilisation et du suivi des actions. Les PNR ont ainsi regretté que les OPP ne soient pas inscrits, au même titre que les atlas du paysage, dans la loi pour la Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages pour favoriser la généralisation de cet outil.

« La constitution et la mobilisation régulière d’un comité de pilotage constituent un point essentiel de la démarche, en permettant un croisement des regards et des compétences à chaque phase clé », souligne Julien Transy. Davantage d’écologues pourraient intégrer les comités de pilotage des OPP. Une image laissant toujours une part libre à l’interprétation et à la subjectivité, il est important de combiner un OPP à d’autres outils, par exemple un outil statistique montrant des tendances d'évolution. L’instauration d’une relation entre les observatoires de biodiversité et les OPP pourrait être envisagée, les OPP pouvant illustrer localement des indicateurs de l’Observatoire national de la biodiversité (ONB) tels que l’évolution du taux de boisement, des surfaces toujours en herbe (STH) au profit des cultures, des surfaces de milieux naturels perdues par artificialisation… car
« coupler biodiversité et paysage est assez logique pour évaluer les dynamiques de préservation et de restauration », conclut le chargé de mission paysage du Cen Poitou-Charentes.

(1) Méthode nationale : http://bit.ly/2xMbE6U.
(2) Guédon P., 2017, Focus sur les Observatoires photographiques du paysage (OPP) réalisés par le Conservatoire régional d'espaces naturels (CREN) de Poitou-Charentes, revue en ligne Projets de paysage : http://bit.ly/2vrsD1A.