MedWetCoast en Albanie, Égypte, Liban, Maroc, Tunisie, Autorité palestinienne

Le plan de gestion avec modération

 
Vu ailleurs

Sylvie Goyet
Tour du Valat

 

L’expérience à laquelle il est fait référence dans ces lignes invite à s’interroger sur la corrélation entre plan de gestion et bonne gestion ; l’un n’impliquant pas forcément l’autre, semble-t-il.

Certes, l’outil plan de gestion est incontournable. Toutes les organisations internationales de conservation le confirment. « La planification de la gestion est une étape essentielle pour un management efficace des aires protégées », peut-on lire dans le guide de l’IUCN1.
Et pourtant… la démarche rencontre parfois quelques écueils, en particulier dans les pays en développement. Est-ce le syndrome du « trop bien faire » ou bien est-ce réconfortant d’afficher une référence méthodologique solide permettant de justifier action ou non-action ?
On y va
Mis en œuvre entre 1999 et fin 2006, le projet MedWetCoast avait pour objectif la protection de la biodiversité d’importance régionale et globale de six pays dans le bassin méditerranéen (Albanie, Égypte, Liban, Maroc, Tunisie, Autorité palestinienne). Un accent particulier était mis sur quinze sites pilotes2. Une des composantes prioritaires du projet avait pour objectif la mise en place d’une gestion durable des sites choisis (zones humides et zones côtières), avec pour cible l’élaboration d’un plan de gestion pour chacun des sites.
Cette démarche s’est rapidement révélée être la colonne vertébrale du projet, l’ensemble des activités s’articulant essentiellement autour de la description, l’analyse et la planification des sites.
La méthodologie « plan de gestion » préconisée par le projet MedWetCoast s’inspirait largement des recommandations Ramsar et Eurosite, schématiquement :
a) un diagnostic exhaustif des ressources, valeurs et usages des sites ; b) un processus consultatif d’identification des objectifs ;
c) une mise en œuvre des actions du plan. Parallèlement, des actions jugées urgentes devaient être mises en œuvre pour répondre aux besoins pressants et menaces sur les zones sensibles. Le tout soutenu par des formations, de l’accompagnement technique et une mise en réseau des experts de ces pays et sites pour l’échange et le partage d’expérience.
En dernière année de projet, l’équipe régionale a réalisé une évaluation de la démarche d’élaboration du plan de gestion3, tirant une série d’analyses et de remarques. Ces enseignements amènent un certain nombre de questions qu’illustrent les quelques points ci-dessous tirés du rapport.
On regarde en arrière
Les études de diagnostic, devant servir de base au processus de planification, ont révélé quelques faiblesses. N’auraient-elles pas biaisé la définition des objectifs ? Celles-ci ont été réalisées par des équipes d’experts et de scientifiques, sur une période de six à dix-huit ou vingt-quatre mois afin de recueillir une base de références aussi complète que possible. Cependant, a posteriori, on a pu noter certaines lacunes, par exemple : peu ou pas d’examen des milieux aquatiques, poissons ou invertébrés, une faible analyse des données socio-économiques et des sources de pressions, des observations très génériques sur les aspects culturels et les savoirs communautaires, et une étude des écosystèmes souvent limitée à des descriptions peu précises d’habitats.
Château assiégé. Le diagnostic reste très fragmenté, avec peu d’analyse de l’ensemble de l’écosystème et de ses interrelations.
Par ailleurs, en absence d’études et de stratégie claire pour les zones tampons et adjacentes des sites, les actions préconisées par le plan de gestion peuvent s’apparenter à la résistance du siège d’un château sans fort… En effet, les études préalables et ensuite les plans de gestion MedWetCoast ont travaillé sur la base des limites de l’aire protégée, limites qui peuvent avoir été définies sur des bases administratives comme écologiques. Pourtant, l’approche écosystémique ne peut s’arrêter aux frontières de l’aire protégée ni aux barrières. Les interactions avec le bassin versant, le milieu marin (voire plus loin dans le cas d’espèces migratrices) sont primordiales et les sources de menaces proviennent bien souvent de l’extérieur.
Valeur patrimoniale. D’autre part, il est essentiel de savoir pourquoi tel ou tel site est protégé, c’est-à-dire de connaître sa valeur. Pour les espèces par exemple, les études MedWetCoast ont amplement fait référence aux listes rouges de l’IUCN. Cependant, la rareté d’une espèce est un concept bien relatif, non seulement parce qu’une espèce peut être mondialement en danger mais localement abondante, mais aussi parce que les populations résidentes peuvent ne pas comprendre ce statut de rareté. Les valeurs socio-économiques n’ont pas été suffisamment prises en compte (par exemple, l’importance de la pêche pour les populations résidentes ou encore le rôle de la chasse pour les communautés ont-elles une fonction alimentaire ou confèrent-elles un statut social ?). Ce sont elles, pourtant, qui vont inspirer les décideurs à prendre position, même si certains peuvent aussi être sensibles à la disparition de la sarcelle marbrée. Sans parler des valeurs culturelles ou paysagères (bien souvent à l’origine de l’appréciation des touristes) qui n’ont été que très rarement relevées dans les études. Ainsi, la majorité des plans de gestion se réfère à des valeurs biodiversitaires, manquant l’occasion de faire le lien avec les populations.
Peut mieux faire. On citera, enfin, le fait que la grande partie des plans de gestion MedWetCoast (deux exceptions) n’a pas été accompagnée de Business plan (plan d’affaire). Les interventions ou actions proposées font ainsi l’effet d’une liste au père Noël. Sans idée précise ou supposée des sources de financement, mais aussi du coût des actions proposées, le plan de gestion paraît peu réaliste, voire dangereux car susceptible d’attirer plus de convoitises et d’espérances que de réels bénéfices.
Les experts argumenteront que ces faiblesses sont le lot de l’inexpérience et qu’au troisième round de planification, elles seront corrigées. Certainement. Néanmoins, ces tâtonnements coûtent assez cher, tant en termes financiers que d’essoufflement et d’impatience ; les partenaires et les populations mobilisés peuvent vite devenir frustrés de voir venir le quatrième plan de gestion d’un site dans lequel ils participent peu, tout en continuant de voir leurs conditions de vie peu progresser.
Sans vouloir discréditer la démarche plan de gestion (je la préconise moi-même quotidiennement), il s’agit, sur la base des enseignements et observations, d’encourager une approche plus pragmatique et peut-être plus adaptée aux contexte et conditions.
Alternatives
Un des schémas alternatif serait de proposer une première phase de participation et de mobilisation, à l’issue de laquelle serait défini un plan de gestion court, succinct, sans appel à expertise ni études d’inventaire et de diagnostic : simplement un état des lieux par les acteurs eux-mêmes. L’accompagnement extérieur viserait alors davantage la facilitation et la médiation que la dimension technique.
Et si le financement disponible permet d’engager des études, pourquoi ne pas lancer plutôt une analyse des acteurs et une simple analyse causale ?
Le plan doit être simple, lisible par tous, chiffré (en indiquant les coûts des actions et les contributions de chacun). Il doit s’étendre sur une courte période (difficile pour la plupart des acteurs des aires protégées des pays en développement de concevoir des échéances à cinq ans ou plus).
Enfin, et surtout, pour être compris et amélioré, le processus doit être cyclique. Il doit être suivi et analysé afin d’ajuster les interventions au besoin. Serait-ce alors simplement une démarche de gestion adaptative ? L’investigation est ouverte…

1. Thomas Lee & Julie Middleton, (2003). Guidelines for management planning of protected areas. IUCN Gland, Switzerland and Cambridge, UK. ix + 79 p. ; G. Kelleher (1999). Voir aussi : Guidelines for marine protected areas. IUCN, Gland, Switzerland and Cambridge, UK. xxiv + 107p.
2. Soutenu dans ses aspects techniques par la Station biologique de la Tour du Valat, le Conservatoire du littoral et l’Atelier technique des espaces naturels, le projet était financé à hauteur de seize millions de dollars par les contributions nationales des pays en question ainsi que par le Fonds français pour l’environnement mondial et le Fonds pour l’environnement mondial par le biais du Programme des Nations unies pour le développement.
3. MedWetCoast Management Plan Peer Review (2005).