>>> Marais du Vigueirat

Provoquer l’afflux touristique

 
pour protéger l’espace

Espaces naturels n°1 - janvier 2003

Accueil - Fréquentation

Camille Prosperi

 

Reconnus d'importance internationale pour les oiseaux d'eau, les marais du Vigueirat, en Camargue, abritent aussi le « sentier des cabanes ». Lieu d’apprentissage et de loisirs pour les familles, elles le fréquentent de plus en plus. Comment concilier fréquentation touristique et préservation de l’espace. Réponse…

Enchâssé sur pilotis, le sentier serpente au milieu du marais. Il traverse un bois, une roselière, enjambe les canaux et effleure les étangs. De loin en loin, il s’anime : ici, on a déposé un piano dont l’étrange musique restitue le cri des animaux, là une libellule géante force le regard, tandis qu’ailleurs un labyrinthe serpente au milieu des roseaux.
Ouvert au public depuis juin 2000, le « sentier des cabanes » court sur 400 mètres au cœur des marais de Vigueirat. Depuis lors, les visiteurs viennent de plus en plus nombreux. Certes, on peut y voir la preuve que cette activité de nature correspond à une attente des familles mais il faut aussi analyser la réussite autrement, et constater que cette fréquentation croissante n’a nullement dégradé le site.
Pour les gestionnaires de l’espace, cette absence de dégradation n’est pas le fait du hasard mais la conséquence logique de leurs choix, effectués lors de la conception du projet. À écouter Nathalie Hecker, gestionnaire, le secret réside dans le fait de canaliser les personnes. La difficulté étant de faire en sorte que les gens se sentent libres mais qu’ils ne puissent pas faire « n’importe quoi ». Le type d’infrastructures et les activités proposées doivent donc être longuement réfléchis pour répondre aux exigences du public mais aussi à sa canalisation. Or, effectivement, sauf à patauger dans l’eau, il est difficile de déambuler hors du sentier des cabanes. « Vous pouvez accueillir 50 000 personnes sur un espace naturel, mais il faut l’aménager avant », expliquent ses gestionnaires.
Jean-Laurent Lucchesi, directeur de l’association des Amis des marais du Vigueirat, insiste sur la complexité qui préside à la conception d’un site récréatif. « Les gestionnaires de l’espace doivent savoir s’entourer d’autres compétences. Ils sont garants de la philosophie du projet, c’est eux qui animent, gèrent, catalysent, apportent leur connaissance du site et leur conscience de l’environnement, mais ils doivent aussi associer d’autres professionnels. Le sentier des cabanes a été conçu avec une équipe pluridisciplinaire de paysagistes, pédagogues, concepteurs de structures ludiques, scientifiques… Aujourd’hui le bilan est positif car le site revêt tous les aspects que nous avons souhaités. Nous voulions un espace ludique et interactif ? Les différentes activités permettent aux enfants de s’amuser. Nous voulions un espace pédagogique ? Les thèmes traités dans les cabanes donnent de nombreuses informations sur l’environnement. Nous voulions un espace qui autorise la liberté ? Il n'y a pas d'accompagnateur, pas de sens de visite. Nous voulions un espace qui respecte la nature ? Les infrastructures en bois sont parfaitement intégrées au cadre naturel. Elles permettent au lieu d'être largement fréquenté sans dégradation. »
Est-ce à dire que tout espace naturel peut ainsi être transformé en zone récréative ? « Notre rôle est avant tout de protéger l’espace. Nous devons offrir au public des lieux où il puisse investir la nature mais nous devons également protéger la biodiversité. La toute première étape de notre travail consiste en une zonation de l’espace », explique Nathalie Hecker. Les marais du Vigueirat, ce sont 1 000 hectares à la jonction de la Camargue et la Crau. Deux écosystèmes remarquables. Nous avons estimé que 900 hectares avaient une valeur biologique exceptionnelle. Notre première mission est donc de les protéger. En revancbe, 100 hectares d’anciennes terres agricoles n’ont pas d’intérêt biologique fabuleux. Nous avons estimé qu’il était possible de les restaurer de manière à ce qu’ils aient un intérêt pour le public ». En effet, l’accueil touristique ne se fait pas n’importe où. Toutes les colonies de hérons ou encore les gros groupes de canards, par exemple, se trouvent sur les 900 hectares précités.
Créer de l’emploi local pour exercer une influence
Il n’est pas rare que les gestionnaires aient à gérer une sur-fréquentation touristique. Leur problématique est alors de protéger, restaurer, limiter l’impact de cette fréquentation. Mais aux marais du Vigueirat, les professionnels ont provoqué eux-mêmes l’afflux de population. Est-ce bien raisonnable ? Loin d’être tabou, la question suscite un grand intérêt de la part des responsables. « Ici, à l’est de la Camargue, il y a peu d’entreprises, peu d’activités, peu de tourisme. Le niveau de chômage est important. Quelle est la place des espaces protégés dans ce territoire social et économique ? Quelle est la place des espaces naturels dans notre société ? Notre rôle se limite-t-il à une protection de la nature ou bien, comme nous le croyons, faisons-nous partie des acteurs qui inventent l’histoire et la vie de ce territoire ?
Professionnels des espaces naturels, nous pensons devoir participer au développement de l’activité économique par le biais des activités de nature. Comment pourrions-nous ignorer le cours de la réalité sociale ? Non seulement nous sommes des acteurs sociaux, au même titre que d’autres, mais les marais du Vigueirat constituent un moteur socio-économique. Du reste, nous n’avons pas vraiment le choix, si nous pensions que notre rôle se limite à la protection, nous nous enfermerions dans une tour d’ivoire et le monde extérieur modifierait la nature sans nous. Par contre, en étant générateurs de ressources, nous sommes des acteurs et nous pouvons exercer une influence. Très concrètement, par exemple, quand nous avons dû embaucher des animateurs, notre choix s’est porté sur des gens du village. Nous savions qu’ils ne répondaient pas immédiatement au profil de poste, mais nous les avons formés et ils ont acquis les compétences nécessaires. De la même manière, nous travaillons avec des éleveurs, avec des entreprises locales. Nous cherchons à déclencher des scénarios de gestion de l’espace permettant de respecter la nature, nous ne voulons pas nous en tenir à la notion d’espaces protégés ».
C’est là une autre vision de la protection de l’environnement. De quoi méditer certainement…