À quand des décisions politiques qui prennent en compte l'environnement ?

 

Espaces naturels n°51 - juillet 2015

L'entretien

Cynthia Fleury,
enseignant-chercheur en philosophie politique (Université américaine de Paris et MNHN)

Alors que le climat occupe une partie de l'agenda politique de cette année, la philosophe déplore que les questions environnementales soient si peu intégrées aux décisions politiques.

Comment les questions environnementales prennent-elles place dans vos recherches en philosophie politique ?
Je travaille sur les outils de régulation démocratique, tant la réforme des institutions que celle des comportements citoyens. Au Muséum national d'histoire naturelle, j’ai travaillé sur la place de la nature dans le contrat social, la question des services écosystémiques, comment ils rendent notre citoyenneté capacitaire. La question environnementale m’intéresse au sens où elle nous invite à repenser l’État de droit. Les problématiques de justice environnementale, d’inégalités écologiques, les cercles vicieux entre manque de gouvernance démocratique, précarisation sociale et captation des ressources naturelles, m’intéressent également beaucoup. Ce sont-là des enjeux centraux pour toute société. D'où la question de savoir comment on peut créer une conscience plus commune à la question environnementale.

Il semble pourtant y avoir une prise de conscience générale, voir mondiale des enjeux ces dernières années...
Il existe, certes, un consensus, au niveau international sur l’enjeu civilisationnel que représente la question environnementale qui n’existait pas dans les décennies précédentes. C’est même le seul agenda politique commun, global, que nous ayons. Mais le consensus est mou, si j’ose dire. On s’entend sur la nécessité de considérer l’enjeu climatique (son principe), mais très peu sur la transformation des pratiques afférentes. L’addiction à la croissance, au développement illimité et dérégulé, continue de faire peau neuve, via un faux affrontement entre environnement et lutte contre la pauvreté.

Vous constatez une sensibilisation différente entre la société civile et les décideurs ?
Depuis Rio, la société civile ne cesse d’être pionnière sur ces enjeux environnementaux. Un écart croissant d’expertise existe entre elle et les décideurs publics. En tant qu’enseignant-chercheur, je peux être amenée à les rencontrer, à leur exposer ce diagnostic, de manière à ce qu’ils prennent davantage en compte la nécessité d’intégrer dans les politiques publiques les normes environnementales. Nous pouvons aussi co-inventer des protocoles de participation démocratique autour de ces enjeux ; c’est ce qui se passe notamment en amont de la COP21. En règle générale, les individus sont plus conscients de l’importance des enjeux environnementaux, ne serait-ce que parce qu’ils impactent plus directement leur santé, leur qualité de vie. En même temps, ils sont parfois découragés devant l’absence de pouvoir transformateur de la part des politiques, alors que l’enjeu environnemental nécessite pertinemment l’échelon collectif, national et international. Par ailleurs, je milite pour la création de temps citoyens dans les entreprises, autrement dit de la formation à la citoyenneté payée par les entreprises. Les entreprises doivent comprendre qu’elles possèdent une dimension publique, quel que soit leur domaine de production.
 

 

 

Cynthia Fleury est l'auteur de L’exigence de la réconciliation. Biodiversité et société (avec Prévot-Julliard, Fayard, 2012). La Fin du courage (Livre de poche 2011), Les pathologies de la démocratie (Livre de poche 2009). Á paraître Les irremplaçables, Gallimard, septembre 2015 cfleury@mnhn.fr