Crau

Rave party : le gestionnaire en première ligne

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Accueil - Fréquentation

Axel Wolff
Conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Conservateur de la RNN des Coussouls de Crau
 

Le 11 juin, le tribunal de grande instance de Tarascon condamnait les organisateurs d’une rave party dans la Réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau. Une  décision qui relance le débat sur le rôle des gestionnaires d’espaces naturels confrontés au problème des free-parties.  Retour d’expérience...

Vendredi 29 avril 2011, il est vingt-deux heures, quatre mille personnes s’installent sur la Réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau : elles sont venues participer à une rave party. Avec elles, ce sont également mille véhicules qui stationnent hors piste. Le samedi puis le dimanche qui suivent, les gestionnaires d’espaces naturels sont alors en première ligne pour tenter de limiter les atteintes au milieu, pour tenter de protéger les brebis et la bergerie datant du 19e siècle.
Comme à chaque fois, l’espace naturel n’en sortira pas indemne. Parmi les infractions relevées, on citera : le trouble de la tranquillité des lieux, le dérangement de la faune sauvage, la circulation de chiens et celle des véhicules à moteur en dehors des pistes, la dégradation de la végétation et de bâtiments, l’abandon de déchets, la perturbation des troupeaux…
Même si les participants montrent un profil volontiers « écolo » et proche de la nature, ce n’est certainement pas au sens où l’entendent les gestionnaires…

Les rave parties sont des rassemblements festifs autour de sound-systems diffusant de la musique électronique underground techno. Les systèmes de sonorisation fonctionnent à forte puissance, dans une recherche de transe, souvent associée à la prise d’alcool ou de drogues.
Réglementairement, l’organisation de telles manifestations est soumise à autorisation (1). Les rave parties autorisées restent très rares en France, à l’exception d’un ou deux teknivals qui rassemblent chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes. La plupart des rassemblements sont donc illégaux.

Depuis sa création en 2001, la Réserve naturelle nationale des coussouls de Crau a un long historique de cœxistence avec ces free-parties. Vaste et plate, à proximité de grands axes de circulation et à l’écart des zones habitées, elle est l’endroit « idéal » pour les organisateurs ; et sans doute en est-il de même pour les pouvoirs publics. En effet, malgré l’avis défavorable de la Diren, le teknival du nouvel an a été autorisé fin 2002. Celui-ci rassembla quelque cinq mille participants. L’autorisation fut renouvelée en 2003.
Ce précédent fit des émules. Et, depuis lors, les fêtes non autorisées se succèdent.
Dès 2004, année de leur installation, les co-gestionnaires de la réserve (2) saisissent les autorités de ce problème. Pendant longtemps, il n’est d’autre réponse que « la Crau permet un encadrement optimal tant par les forces de l’ordre que par les secours. Nous ne souhaitons pas déplacer la manifestation ».

La prévention de ces événements est pour ainsi dire impossible. Le lieu de rassemblement est dévoilé à la dernière minute sur des hotlines. L’installation faite, il est inenvisageable d’évacuer le site, les forces de l’ordre se refusant à renvoyer sur les routes des participants pouvant être sous l’emprise de stupéfiants.
La fermeture des accès peut également s’avérer inopérante face à la détermination des organisateurs. En Crau, des barrières DFCI ont été sciées à la meuleuse, des enrochements déplacés, des fossés comblés, etc.
Quant à la gestion de la manifestation, il est évidemment conseillé de se tenir à l’écart. Des altercations avec les participants sont à craindre, qui peuvent mettre en jeu la sécurité des agents des espaces naturels. Mieux vaut, donc, observer de loin et prévenir les forces de l’ordre.
Leur intervention pour disperser le rassemblement ou procéder à des interpellations n’est cependant pas acquise. Elle peut dépendre de nombreux paramètres impliquant de subtils équilibres de gestion de l’ordre public. En Crau, il est advenu qu’on invoque la tenue d’un match de football à Marseille pour justifier de l’absence d’unités à déployer.
Lors du Tecknival de mai 2011, c’est alors grâce à une action directe auprès du cabinet du préfet et du procureur que les gestionnaires ont pu obtenir des interventions significatives.

Sur le terrain, le gestionnaire peut aider les forces de l’ordre par sa connaissance des lieux, il peut faciliter leur intervention ; comme en mai 2011, où le Cen Paca a facilité la mise en place des barrages à toutes les sorties du site. 
Le professionnel de la nature peut également communiquer les éléments de réglementation spécifique au site, lesquels peuvent faciliter la caractérisation pénale des infractions pour des forces de l’ordre rarement spécialisées en droit de l’environnement (possibilité de saisie du matériel et des véhicules dans les réserves naturelles…). Le gestionnaire peut aussi, lors de l’enquête, assister l’évaluation des impacts de la manifestation.

La réponse pénale. Le dépôt de plainte est évidemment indispensable. Attention, il ne sera suivi d’effet que si les organisateurs ont été identifiés, d’où l’intérêt de convaincre le parquet de procéder à des interpellations.
Au cours des raves du 1er mai 2011 et d’Halloween, les forces de l’ordre ont interpellé les organisateurs et saisi matériel et véhicules. Éléments décisifs pour les jugements successifs qui se sont tenus en 2012 et juin 2013. Dans les deux cas, des condamnations ont été prononcées : 1.000 euros d’amende pour quatre prévenus de la rave d’Halloween ; 1.500 euros pour les huit prévenus pour la rave de mai.
Ces poursuites semblent enfin avoir eu un effet dissuasif : pour la première fois depuis sa création en 2001, la réserve de Crau n’a connu aucune rave party en 2012. •

1. Décret n° 2002-887. • 2. Cen Paca et chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône.