Marais charentais

Restaurer l'habitat de l'anguille

 

Espaces naturels n°57 - janvier 2017

Gestion patrimoniale

La restauration des habitats de l’Anguille d’Europe dans les marais charentais passe par une large stratégie pour le site. Le gestionnaire a dû prendre en compte les paramètres biologiques autant qu'hydrauliques, voire faire preuve d'innovation pour concevoir des ouvrages de gestion de l'eau dans le marais de la réserve de Moëze-Oléron.

Système de batardeau

Dans le marais, un héron s’agite bougeant nerveusement la tête de haut en bas et de droite à gauche. L’oiseau se bat avec une proie qui ne cesse de s’agiter, s’allonger, s’enrouler, qui finit par lui échapper puis qu’il capture à nouveau. Au bout de plusieurs minutes, la proie semble maîtrisée et le héron va s’offrir un déjeuner à la saveur réputée, et autrefois bien connu. L’anguille, résistante, mais qui finit par céder, c'est le résumé de son état de conservation défavorable. Les populations d'Anguilla anguilla ne cessent de diminuer face aux pressions multiples exercées sur ses habitats et ses populations. Pour inverser la tendance, la LPO, gestionnaire de la réserve naturelle de Moëze-Oléron (propriété du Conservatoire du littoral), a pris le problème dans son ensemble. L’objectif principal est de favoriser les mouvements et la densité de l’ichtyofaune et des invertébrés aquatiques, et plus particulièrement de l’Anguille d’Europe, en restaurant et améliorant les « outils hydrauliques ».

Le programme a débuté en juillet 2015 pour une fin à l’automne 20161. Ce vaste chantier s’opère en trois volets qui peuvent être décrits comme suit :

volet technique, lié directement aux travaux et aménagements ;
volet pédagogique, dont l’objectif est la sensibilisation du public aux enjeux de conservation liés à l’Anguille d’Europe, à travers notamment la mise en place d’une exposition ;
volet scientifique (voir ci-contre), dont le but est de mesurer les effets de la restauration sur les populations de poisson, à partir d’un état des lieux effectué en 2005-2006.

Les facteurs limitants pour la circulation des poissons sont majoritairement liés aux profils des fossés ainsi qu’à l’état des ouvrages hydrauliques en place dans la réserve. Ces ouvrages souvent vétustes sont peu adaptés à la progression des migrateurs. La première étape consiste alors, une fois ces facteurs identifiés, en la réhabilitation de la connectivité entre les entités hydrauliques de la réserve à travers le curage de fossés, le remplacement d’ouvrages peu passants ou le curage de bassins (création de bas-fonds).

D’un point de vue écologique, le curage des fossés permet dans un premier temps une meilleure circulation de l’eau et, dans un second, la réapparition de la flore rivulaire. D’autre part, le remplacement des ouvrages hydrauliques contraignant la circulation des poissons, cumulé au curage, assure une fluidité des corridors halieutiques.

Par ailleurs, le curage de certains bassins, soumis aux assecs estivaux, a pour objectif de garder des secteurs de bas-fonds, pour éviter aux anguilles l’exposition aux prédateurs et les phénomènes d’une asphyxie potentielle. Les effets attendus de ces types de travaux, outre la meilleure circulation des poissons, sont également la restauration des herbiers formés par les potamots (eau douce à saumâtre) ou ruppia (eau saumâtre à salée), et l’augmentation de la ressource trophique, qu’il s’agisse de poissons ou d’invertébrés.

PENSER LE SITE DANS SON ENSEMBLE

Ces travaux centrés principalement sur l’Anguille d’Europe visent à plus large échelle la biodiversité aquatique en général. Un tel réaménagement du réseau hydraulique de la réserve nécessite le curage de 5 km de fossés, et la mise en place de douze nouveaux ouvrages hydrauliques. Ce projet inscrit la réserve naturelle de Moëze-Oléron, en tant que site pionnier parmi les réserves naturelles dans la conservation des populations d’ichtyofaune en marais endigué. 

Il a fallu pour ce faire caractériser l’ensemble du réseau hydraulique dans un premier temps, pour s’assurer de la connectivité globale et, dans un second temps caractériser des sous-entités dans ce réseau : entités liées aux habitats, à la structure des bassins et à leur fonction écologique. Ainsi, certains bassins ont pu être totalement réaménagés (par exemple deux bassins réunis en un) pour faciliter la circulation. De plus, sur un secteur de prairies, en eau l’hiver, la mise en place d'ouvrages permet de maintenir en eau des secteurs de frayères potentielles au printemps. Compte-tenu de l’ampleur du chantier et des volumes d’eau, il a fallu confectionner des ouvrages robustes de grandes tailles, et qui ne gênent pas la circulation des véhicules liée à la gestion (tracteurs, véhicules, etc.). La meilleure solution a donc été la création de batardeaux en résine, capables de faire entrer de grandes quantités d’eau en peu de temps, et supportant le passage d’un véhicule.

Ces ouvrages ont été conçus par un artisan en collaboration avec l’entreprise Gorichon qui gère les travaux, et sont recyclables. 

Une exposition développant les différents volets de ce chantier est présentée au public à la ferme de Plaisance, espace d’accueil du site. Cette exposition a pour objectifs d’informer le grand public sur l’écologie particulière de ce poisson, des menaces qui pèsent sur ses populations, de l’intérêt de mener à bien un tel chantier, et d’informer les visiteurs des résultats attendus. Pour cela, divers panneaux développent les aspects écologiques, techniques, et scientifiques.

RÉSULTATS ATTENDUS

Après les travaux de restauration, il faudra tester les effets sur les populations de poissons, en particulier l’anguille. Pour cela les recherches à venir tenteront de répondre à des questions telles que :

La réhabilitation du réseau hydraulique de la réserve, à travers la restauration des habitats, a-t-elle permis de recouvrer les effectifs d’anguilles de 2006, ou même de les accroître ?
Le taux de recrutement des jeunes anguilles est-il rétabli ?
Ces travaux ont-ils favorisé la végétation aquatique, les invertébrés et les autres espèces de poissons sur la réserve naturelle ?

Inscrit dans le nouveau plan de gestion 2016-2025 de la réserve, cette étude devrait se dérouler en 2018/2019. Bien que l’alarme ait été sonnée il y a bien longtemps, quarante ans au moins, nul ne doute que les stocks de poissons marins ont diminué de manière drastique. Concernant les poissons amphihalins et d’eau douce, le constat a été plus lent encore, et cela malgré la diminution constante de zones humides, leur dégradation, l’appauvrissement des habitats et la diminution de la qualité des eaux. Aujourd’hui les recherches concernant la conservation des poissons d’eau douce sont en plein essor et l’intérêt de les mener est compris par un grand nombre.

La Réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron, espace de marais entre terre et mer, est donc située au premier plan de telles actions, et c’est logiquement que ces actions servent de support à la sensibilisation du public ou à la recherche pour la conservation. Les actions de gestion devraient s'étendre à d'autres zones humides, y compris hors zones protégées, pour être vraiment efficaces et éviter l'isolement des populations.