Ils en témoignent

« Sceptiques ! »

 

Espaces naturels n°36 - octobre 2011

Le Dossier

Alain Givors
Président de Pro Silva France. Expert forestier.

 

Le volume d’accroissement de la production de bois déterminé par l’Inventaire forestier national (IFN) est estimé à 100 millions de m3 annuels (ce qui laisse une marge de manœuvre pour exploiter 20 millions de m3 de plus qu’actuellement selon le discours d’Urmatt).
Nous sommes sceptiques. Il faut en effet considérer la valeur de la production. Or, celle-ci ne peut être améliorée que si les forêts sont composées d’un volume suffisant de beaux arbres produisant du bois de qualité. Le danger serait de décapitaliser des bois en cours de croissance par des coupes rases de grandes surfaces.
À prendre en compte aussi, le fait que pour mobiliser un volume important de bois supplémentaire, il faudrait améliorer fortement les conditions de desserte. Une amélioration qui coûterait très cher. Il est donc prudent de rechercher avec soin l’équilibre entre les investissements et la valeur de la matière.
Par ailleurs, la comparaison brute entre l’accroissement biologique en m3 et la récolte de bois commercialisés ne saurait déterminer le potentiel supplémentaire de bois mobilisable. De l’avis de spécialistes de l’exploitation, l’abattement à pratiquer entre le volume IFN et celui effectivement commercialisé est de l’ordre de 30 %.
Notons aussi que l’IFN mesure l’accroissement courant des peuplements pour les plantations ayant entre 20 et 50 ans d’âge et pour les taillis sous futaie jeunes ou appauvris. Or, cet accroissement n’est pas entièrement disponible car la forêt française est faite, sur une surface importante, de boisements âgés de 40 ans en moyenne. À cet âge, l’accroissement est à son maximum, il est très supérieur à l’accroissement des peuplements parvenus à maturité. C’est là aussi que la productivité en valeur est maximale. Aussi, pour capitaliser du bois de qualité, il faut exploiter un volume sensiblement inférieur à celui de l’accroissement.
Selon l’IFN, la forêt française comporte 161 m3/ha de bois fort, dont seulement 22 % sont des gros bois de plus de 47,5 cm de diamètre à hauteur de poitrine. Notre forêt est donc nettement plus pauvre que celle de nos voisins (Suisse : 333 m3/ha, Allemagne : 278, Autriche : 309, Slovénie : 280… statistique FAO 2000). Peut-on, avec cette comparaison, qualifier objectivement la forêt française de surcapitalisée ?
Enfin la comparaison des seuls m3 de l’accroissement biologique avec ceux de l’exploitation néglige deux facteurs fondamentaux, à savoir la valeur des bois sur le marché et la volonté de son propriétaire.
N’omettons pas non plus que des forêts « riches » stockent plus de carbone que des forêts « pauvres ».
Le renoncement à toute coupe rase serait très bénéfique pour la fixation du carbone, en freinant la minéralisation de l’humus et la libération de gaz carbonique du sol.