Afrique

Soutenir les actions locales pour lutter contre le trafic

 

Espaces naturels n°51 - juillet 2015

Vu ailleurs

Paul Estève, UICN

Depuis plusieurs années, le trafic illégal d’espèces sauvages s’est intensifié. Au-delà de l'action des États, des mesures urgentes et répressives sont nécessaires à la survie des espèces. Le PPI mise sur des actions plus locales en appuyant les ONG africaines.

Le Programmede petites initiatives1 (PPI) du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) croit en une méthode d'action directe. À ce titre, il appuie la réplication par des ONG d’un modèle d’application de la loi sur la faune au Bénin, en Guinée et au Togo. En effet, les récents constats sont alarmants. Un éléphant tué toutes les 15 minutes depuis 2011, 1 215 rhinocéros (blancs et noirs confondus) abattus en 2014 sur une population totale estimée à 25 000 individus, soit une augmentation du braconnage de cette espèce de 10 000 % depuis 2007, 19 000 hippocampes séchés saisis à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle... Voici un exemple des chiffres inquiétants qui démontrent que le commerce illégal d’espèces sauvages n’a cessé de prendre de l’ampleur pour atteindre le 4e rang des trafics illicites dans le monde, avec des bénéfices estimés à 19 milliards de dollars par an. Et ce, malgré les efforts de conservation réalisés par les États et les organisations internationales de protection de la nature, et malgré la mobilisation de la communauté internationale avec la multiplication de conférences, de déclarations et d’accords internationaux (le sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique en 2013, la conférence sur le commerce illégal d’espèces sauvages en 2014 à Londres et en 2015 à Kosane). D'où le principe du PPI, qui soutient trois ONG appartenant au réseau Eco Activists for Governance & Law Enforcement (Eagle).

Les fondateurs du réseau d’activistes Eagle sont partis du constat que des dispositions légales interdisent l’abattage et le commerce de certaines espèces mais que la faible application de la loi ne permet pas de freiner ces activités. Les principaux obstacles sont la corruption, le trafic d’influence, le manque de communication et de collaboration entre agences gouvernementales, et parfois même le manque de volonté ou de moyens, voire de capacités. Pour ces raisons, les membres du réseau Eagle travaillent en étroite collaboration avec les autorités nationales pour les former à la bonne application de la loi mais aussi plus directement pour qu’elles puissent arrêter et juger les trafiquants (l’ONG n’ayant naturellement pas mandat pour cela). La dimension internationale de ces trafics implique aussi la collaboration d’Eagleavec des instances internationales comme les autorités de la gestion de la Cites (Convention on International Trade in Endangered Species), UNODC (United Nations Office on Drugs and Crime) et Interpol.

L'OPÉRATION DÉBUTE PAR L'INFILTRATION D'UN RÉSEAU

Le modèle développé par Eagle se base sur le programme d’activités suivant : réalisation d’enquêtes, d’opérations d’arrestation, de suivi juridique et de couverture médiatique relatifs au trafic de faune sauvage.
Concrètement, une opération débute par l’infiltration d’un réseau de trafiquants en se faisant passer pour un intermédiaire. Lors de la transaction, les forces de police, prévenues par l’ONG, arrêtent le trafiquant. Un de leurs juristes collabore avec le ministère en charge de la faune ainsi que les procureurs et magistrats dans l’analyse juridique des dossiers puis assiste au procès pour suivre le verdict. L’ONG s’assure ensuite de l’application des peines en rendant visite aux trafiquants en prison chaque semaine. L’opération fait enfin l’objet d’une large communication dans les médias locaux et nationaux afin de sensibiliser les populations et dissuader les trafiquants.

Fort de ses treize ans d’expériences, Eagleest désormais actif dans dix pays d’Afrique2 et a déjà permis l’arrestation de plus de 1 000 trafiquants dont la majorité a été condamnée à des peines de prison. Le PPI a donc décidé de poursuivre son appui au réseau en soutenant ses activités dans sept pays d’Afrique (Bénin, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée, Sénégal et Togo) et en développant leur modèle dans deux nouveaux pays.
Malgré les bons résultats obtenus par les actions menées dans le cadre de ce programme, cela ne suffit pas à endiguer le braconnage. Les conférences et accords internationaux restent nécessaires notamment pour sensibiliser les populations et limiter la demande de ces produits issus d’espèces protégées et menacées d’extinction.

 

(1) Créé en 2006, ce programme du FFEM et géré par le Comité français de l’UICN a pour objectif de renforcer la contribution de la société civile des pays d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Centrale et de Madagascar à la préservation de l’environnement mondial tout en améliorant les conditions de vie des populations locales.

(2) Bénin, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée, Kenya, Ouganda, République centraficaine, Sénégal et Togo.