Passage à faune

Les bonnes questions

 
Le Dossier

Jean Carsignol
Ingénieur écologue

 

9 712 km d’autoroute, 25 500 km de routes nationales, 1 546 km de lignes à grandes vitesses, 8 500 km de voies navigables… Les réseaux de transport morcellent les habitats. Sur les populations, les conséquences sont multiples : déficit démographique, extinction des espèces rares et spécialistes, augmentation des espèces généralistes et sédentaires, érosion génétique. Là où les choix de tracé ne permettent pas d’autres alternatives, les passages pour la faune représentent une solution. Ils limitent la fragmentation, rétablissent le fonctionnement en métapopulation, les processus de dispersion et de migration essentiels à la survie des espèces. Les passages assurent les recolonisations et rétablissent l’accès à certaines ressources. En association avec la pose de clôtures, ils réduisent la mortalité animale due à la circulation. Les passages à faune ne sont pas des ouvrages d’art courants. Seule une collaboration interdisciplinaire permet de garantir la fonctionnalité des passages sur le long terme. L’efficacité d’un passage dépend de sa position dans le paysage, de sa taille, du soin apporté à son intégration et de sa gestion.

Des passages où ?
Les passages sont impérativement localisés sur les cheminements interrompus ou sur les corridors qui structurent le paysage (haie, forêt rivulaire, chemins, réseau de mares, continuum boisé plus ou moins large…). Dans les études d’impacts, la priorité est généralement donnée aux espèces protégées. Elle ne devrait pas occulter d’autres espèces (notamment celles liées aux processus écologiques des espèces protégées et, plus largement, l’ensemble de la faune). Le diagnostic écologique doit intégrer les espèces (inventaire, dénombrement) et les habitats (écologie du paysage). Négliger l’un ou l’autre expose le concepteur à des échecs.
Des passages pour qui ?
Le type de passage et ses caractéristiques sont liés aux espèces visées.
Les passages de type I sont de simples dalots ou buses, construits sous remblais et utilisables par la petite et moyenne faune.
Les passages spécialisés de type II correspondent aux crapauducs ; ils sont associés à des dispositifs de collecte et sont aussi utilisables par un grand nombre de groupes faunistiques1.
Les passages hydrauliques de type III associés à une banquette latérale rétablissent les flux biologiques des taxons qui utilisent les cours d’eau pour se déplacer (musaraigne, ragondin, vison, loutre, castor, reptiles…). Tous les ouvrages hydrauliques rétablissant des cours d’eau pérennes doivent être équipés pour permettre une utilisation par la faune terrestre (principe de mixité des ouvrages).
Les passages de type IV. Les passages agricoles ou forestiers de petite taille n’ont pas de vocation biologique mais leurs caractéristiques (7-8 m de large) offrent, moyennant quelques aménagements, des possibilités de traversées régulières pour la microfaune et la mésofaune. En revanche, ils participent peu au maintien des flux de la grande faune. Les possibilités offertes par les passages de type IV sont mal exploitées. Ils sont un complément aux passages spécifiques réservés à la faune mais ne les remplacent pas. Ils constituent des structures supplémentaires de déplacement dont on aurait tort de se priver.
Les passages de type V et VI correspondent à des ouvrages pour les grands ongulés. Leurs caractéristiques assurent une transparence favorable à un grand nombre d’espèces de la petite et de la moyenne faune. Désignés « passages à gibier » dans les années 1970-1980, ils sont aujourd’hui conçus dans une logique élargie « d’écopont » dont l’objectif est d’assurer la conservation de l’ensemble de la biodiversité depuis les insectes jusqu’aux grands ongulés (cerfs).
Le viaduc de Type VII est une alternative au remblai. Il restitue des possibilités immédiates de mouvements de l’ensemble de la faune sans restriction. Les structures à pile sont favorables à la faune. Plus le viaduc est haut et étroit, mieux il est accepté par la faune. Lors du chantier, la végétation doit être épargnée partout où cela est possible. Des mesures (acquisition, convention de gestion) sont à prendre pour contrôler l’occupation des sols et assurer la libre circulation de la faune.
Les tranchées couvertes rétablissent de grandes surfaces naturelles au-dessus de la voie. À la différence des viaducs et tunnels, elles ne préservent pas les habitats mais les reconstituent.
Leur plein avantage est donc différé dans le temps.
Grâce à leurs dimensions (de quatre-vingt à plusieurs centaines de mètres si nécessaire), ces ouvrages concernent tous les groupes faunistiques sans restriction y compris les micromammifères et les invertébrés (qui n'utilisent les passages que lorsqu’ils restituent fidèlement leurs habitats et qu’ils sont directement reliés aux milieux correspondants de part et d’autre de la chaussée). Ils permettent d’éviter les situations de concurrence ou de prédation entre les espèces. Avec les viaducs, les tranchées couvertes maintiennent ainsi la totalité des flux biologiques alors que les ouvrages de type I à VI ne rétablissent qu’une partie des flux et sont plutôt réservés à des groupes d’animaux déterminés. L’aménagement d’une tranchée couverte se justifie par la présence d’habitats étendus, rares (Znieff, réseau Natura 2000) ou de très grande valeur écologique, de zones de transition vitales ou encore par la présence d’espèces protégées, d’espèces prioritaires ou d’espèces qui n’utilisent que des passages reconstituant fidèlement les caractéristiques de leurs habitats.
Des passages comment ?
Une fois construit, l’efficacité d’un passage dépend de la qualité de son aménagement végétal qui améliore ses capacités d’accueil. L’aménagement végétal représente 5 % du coût de l’ouvrage mais 50 % de son efficacité, d’où l’intérêt de ne pas le négliger. La végétation guide la faune jusqu’à l’ouvrage, offre des possibilités de nourrissage, renforce l’efficacité des clôtures. L’aménagement végétal est conçu pour favoriser le plus grand nombre d’espèces végétales. Pour améliorer l’attractivité, il est recommandé de poser des andains de souches et de pierres (voir schéma ci-contre).
Quel que soit leur type, ces passages doivent être gérés, surveillés, entretenus. La gestion est souvent négligée alors même que, par retour d’expérience, on sait que la réalisation d’un passage ne suffit pas. Il doit être surveillé pour éviter qu’il ne soit détourné de sa fonction initiale et régulièrement entretenu pour assurer durablement son efficacité. Il existe des exemples réussis de convention de gestion mais aussi des aménagements abandonnés ou des interventions inadaptées qui compromettent définitivement le passage.

1. Le paysage permet d’identifier des phénomènes non perceptibles à d’autres niveaux d’organisation (les flux d’espèces, les liens entre la structure d’un espace et la répartition des espèces).