Ces citadins qui usent de la nature
Espaces naturels n°21 - janvier 2008
Emmanuel Boutefeu
Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu)
Quelles sont les attentes des publics urbains qui fréquentent les espaces naturels protégés ? Les mêmes que dans les jardins publics : le libre contact avec la nature.
En 2002, une enquête réalisée auprès des habitants de la communauté urbaine de Lyon1 a permis de cerner la demande sociale en matière de lieux de nature. Or, ces mêmes citadins, qui plébiscitent les squares de proximité, fréquentent les espaces naturels et ruraux. Une meilleure connaissance de leurs attentes et de leurs représentations concernant la nature devrait apporter quelques enseignements utiles aux professionnels des espaces naturels. Parmi les résultats de cette enquête, on notera que, dans les parcs urbains ou en pleine nature, les citadins recherchent la même chose : calme, paix, détente.
Salon de verdure. La semaine, les citadins fréquentent les squares. Ainsi, la moitié des personnes interrogées (54 %) déclare aller quasi quotidiennement dans un square. Cet espace multifonctionnel est à la fois un lieu de détente, une salle de lecture en plein air, un terrain de jeux, une aire de pique-nique. Le square est surtout un salon de verdure où les riverains viennent rompre l’isolement et renforcer les liens sociaux. Certains habitués le considèrent d’ailleurs comme leur jardin privé où ils aiment bavarder avec leurs voisins de palier, après la sortie des classes, pendant qu’ils surveillent discrètement leurs enfants. Le trajet domicile-square constitue un itinéraire de promenade à part entière, favorisant l’activité physique et la détente. Du reste, la promenade est le premier motif de visite évoqué (40 %) ; assez loin derrière, les riverains accompagnés d’enfants sont attirés par les aires de jeux (26 %). Le temps de déplacement qu’un citadin est prêt à consentir pour se rendre dans un square est de l’ordre de dix minutes : ce budget-temps permet de mesurer le rayon d’attractivité d’un square ; la fréquentation étant cependant fortement tributaire des rythmes scolaires et des conditions météorologiques. Un square est d’autant plus sollicité que la population riveraine se compose de jeunes ménages, avec des enfants, habitant en immeubles collectifs groupés.
Lieu de détente et d’exercice. Le week-end, les citadins fréquentent les parcs urbains (86 % des personnes interrogées). La marche reste l’activité favorite de ses usagers ; ils viennent au parc avec la ferme intention de se promener afin de se détendre et de contempler le spectacle de la nature. Marcher ou flâner dans un parc s’avère un plaisir pour beaucoup : stimulant, vivifiant, procurant un sentiment de bien-être. Plus la surface d’un parc est grande, plus il est capable d’offrir une aire végétale importante, et plus le parc attire de visiteurs venus de loin. Un parc gagne en attractivité lorsque les aménagements paysagers sont agencés selon une conception simple, accentuée par des évocations campagnardes, plutôt que dirigés vers un style ornemental, décoré ou minéral. Les équipements d’accueil (aires de jeux, grands toboggans, animaux de la ferme, plans d’eau) et les installations sportives (terrains de basket, skate-parc, pistes cyclables) sont des aménagements très sollicités des enfants et des adolescents. Compte tenu que ces derniers sont souvent des prescripteurs de sortie dominicale, un parc disposant de l’un de ces équipements spécialisés a une meilleure notoriété en direction des familles et des adolescents. Un parc en position centrale est un espace public très prisé des habitants de la ville-centre, notamment les jours travaillés durant lesquels il fonc
Accéder au monde du silence.tionne comme un square de proximité. En fin d’après-midi et en soirée, un parc connaît une fréquence d’utilisation plus importante qu’un square. Et plus encore le week-end, car il attire les habitants de la ville pavillonnaire et des communes périurbaines. Plus de 60 % des personnes interrogées déclarent aller régulièrement à la campagne2 : 48 % y vont une à deux fois par mois, 18 % toutes les semaines en toutes saisons. Parmi les arguments justifiant un déplacement à la campagne : « le besoin de calme et de verdure », celui « d’être en famille ou entre amis ». En revanche, les personnes sondées qui disposent d’une résidence secondaire profitent de « leur pied à terre pour s’immerger dans la campagne ». Mais, durant cette « sortie au vert », elles ne pratiquent guère d’activités sportives de plein air, de balades en forêts, de cueillettes de champignons, d’observations de la nature. Bref, le contact avec la nature n’est pas leur motivation première. En fait, elles décompressent, prennent congé de la ville, s’y reposent, vivent en retrait de l’agitation urbaine. Les partants à la campagne font surtout « le plein de calme » et « le vide en eux ». Pour les autres, une sortie à la campagne est l’occasion de « se promener dans la nature ». Là encore, la marche demeure l’occupation préférée du citadin à la campagne, comme dans les parcs et les squares. Les activités sportives et récréatives n’ont pas la dimension qu’on leur prête : à peine 15 % des personnes interrogées déclarent pratiquer un sport de pleine nature à la campagne (équitation, canoë-kayak, ski de fond, vélo tout terrain). Parmi ces « promeneurs du dimanche », une majorité apprécie de se balader dans des lieux de nature renommés dont les installations et les équipements d’accueil correspondent à ceux qu’ils côtoient dans leurs parcs préférés (64 % des attentes). Au contraire, une minorité recherche des lieux de libre contact avec la nature loin des nuisances de la ville : le bruit, le béton, la promiscuité. Une moitié des personnes allant régulièrement à la campagne y reste d’une demi-journée à une journée complète tandis que l’autre moitié prolonge son séjour sur deux jours consécutifs ou plus. Le prix à payer pour accomplir un séjour à la campagne est donc beaucoup plus élevé que pour un parc et un square : il faut organiser la sortie, disposer d’un véhicule, prévoir la logistique d’accompagnement, les repas et les nuitées. Face à ces contraintes matérielles et financières, on comprend que 35 % des répondants renoncent à se balader dans les espaces naturels et ruraux.
Le parc urbain représente la nature. Le parc est le modèle référent de jardin public. Non seulement les squares mais aussi les espaces naturels et ruraux sont perçus à travers le prisme des qualités que doit présenter un parc urbain. Tout ce qui rappelle le monde urbain n’a pas droit de cité. Le parc est par nature un endroit calme, assimilé à un lieu propre, sans déchet ni pollution. Dans l’imaginaire du public, il correspond à une « île verte », composée d’arbres, de pelouses et de plans d’eau, dont la mise en scène rehausse les bons côtés de la nature : apaisante, aimable et agréable. Le « label parc », avec tout ce qu’il véhicule d’attributs symboliques et fonctionnels, l’emporte sur les autres types d’espaces de loisirs et de détente. Aux yeux du public, un espace végétalisé en ville, engazonné et arboré, même restreint, incarne « le petit coin de nature ». Cette enclave de verdure jouit d’une position extra-territoriale : elle est perçue hors la ville. Par voie de conséquence, ce havre de paix doit être calme et propre, gage de sécurité et de naturalité. Aussi, à quoi bon quitter la ville le week-end, pour se balader en forêt, si les panneaux d’accueil et les sentiers balisés ne se démarquent pas de ceux que le citadin côtoie dans un parc urbain ? Quel plaisir à se retrouver dans une forêt-parc, bondée de visiteurs, sous la surveillance d’un garde-moniteur ? Les publics urbains qui fréquentent les espaces naturels protégés attendent le libre contact avec la nature !
1. Enquête téléphonique réalisée par le Certu, en 2002, auprès de 305 habitants de la communauté urbaine de Lyon, âgés de 18 ans et plus.
2. Sous le terme de campagne, les personnes interrogées rassemblent une grande diversité de paysages, sites, forêts, surfaces agricoles…
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La demande sociale de nature en ville, enquête auprès des habitants de l’agglomération lyonnaise, Emmanuel Boutefeu, Puca-Certu, 2005, 85 pages.