L’urbain se débétonne

 
La tendance fait entrer la nature en ville

Espaces naturels n°21 - janvier 2008

Le Dossier

Frédéric Ségur
Responsable du service Arbres et paysage Communauté urbaine de Lyon

 

En plein cœur de Lyon, les berges du Rhône ont récemment été réaménagées. De cette réalisation, il est possible de tirer quelques indications sur les tendances qui caractérisent l’évolution du rapport entre nature et ville.

A Lyon, comme dans de nombreuses autres villes depuis cinquante ans, le lien naturel avec les fleuves et les rivières a été progressivement sacrifié au profit de la voiture. Depuis quinze ans pourtant, la reconquête des fleuves se dessine. Les berges sont progressivement débarrassées de leurs carcans de béton pour retrouver une dynamique naturelle. La dernière action, peut-être la plus spectaculaire, a consisté à transformer les bas-ports de la rive gauche du Rhône en promenade paysagée : cinq kilomètres de longueur, dix hectares de superficie aménagés afin que d’autres usages puissent être envisagés. Le projet a permis l’installation de plus de 400 arbres de 35 espèces différentes, la création de près de trois hectares de pelouses, prairies et espaces végétalisés… Le rapport entre nature et ville est en mutation. w L’acceptation d’une nature plus naturelle. Alors que l’approche du végétal dans les espaces verts urbains est longtemps restée purement horticole et plutôt interventionniste, on évolue depuis dix ans vers une esthétique plus naturelle. Les compositions végétales se rapprochent de modèles naturels dans leur aspect et dans leur fonctionnement. Elles sont évolutives et non figées dans le temps, mais aussi centrées sur la recherche d’une meilleure adaptation au site. On trouve ainsi en parcourant les berges du Rhône le gradient d’ambiances qui caractérise les espaces verts contemporains du plus extensif au plus intensif. Cependant, la présence majoritaire d’une palette végétale peu horticole, la tolérance affichée pour une expression plus libre de cette végétation, traduisent clairement ce changement. w Le jardin sort de ses grilles. Si l’héritage haussmannien des grandes villes semble établi sur un modèle théorique de catégorisation des espaces (l’espace public est minéral avec des arbres alignés, les jardins sont des espaces protégés et isolés, clos à l’intérieur de leurs grilles, les espaces naturels sont à l’extérieur du territoire de la ville…), une évolution progressive rend obsolète cette classification. Les jardins sortent en effet de leurs grilles et s’installent sur les espaces publics, les espaces naturels deviennent des corridors écologiques qui s’immiscent au cœur de la ville, une solution de continuité et une complémentarité d’usage s’envisagent entre les différentes composantes de la nature dans le tissu urbain. La visite des berges du Rhône nous montre ainsi un exemple de ce métissage, un jardin continu est avant tout un axe de déplacement piéton, un espace de rencontre et de festivité au cœur de la ville et constitue un lien entre la ville et ses espaces naturels périphériques. w La logique de continuité. Certes, les compositions urbaines du 19e siècle et du début du 20e proposaient d’imaginer la nature comme une trame où jardins, parcs et forêts seraient reliés entre eux (promenades, ceintures vertes…) ; mais l’héritage est plus de nature « insulaire ». Les parcs et jardins sont des îlots d’un archipel perdu au milieu d’un océan bâti. Le projet des berges du Rhône montre qu’il est possible de corriger cette situation. Les vertus qui en découlent en termes d’usage (promenade reliant les deux grands parcs de la ville, pratique libre du sport dans un cadre naturel) et de valeur (écologique par la création d’une continuité avec les espaces naturels périurbains) sont d’ailleurs à l’origine du succès. Espérons que cette réussite réhabilite définitivement la valeur des continuités naturelles aux yeux des urbanistes et des décideurs politiques. Les tendances qui se dessinent à l’analyse du projet d’aménagement des berges du Rhône sont révélatrices d’un enrichissement de la fonction de la nature en ville : au-delà du beau, de la simple réponse à une demande sociale, de la valorisation économique des territoires, des incidences environnementales, on y voit un facteur d’équilibre indispensable au développement urbain.