Les collectivités s’impliquent et se rapprochent de la recherche

 

Espaces naturels n°43 - juillet 2013

Études - Recherches

Arnaud Callec
CG de l’Isère

 

L’évolution des compétences des conseils généraux dans le domaine de la biodiversité et la gestion des milieux naturels nécessite des liens forts avec la recherche.

Nous ne disposons pas d’informations sur les relations entre les chercheurs et les collectivités en tant que gestionnaires d’espaces naturels ou financeur, constate Flora Pelegrin, responsable du pôle stratégie et animation à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, faisant écho des enquêtes nationales sur la recherche dans le domaine de la biodiversité (cf. encadré).
Des initiatives pour favoriser les passerelles entre chercheurs et gestionnaires sont cependant menées partout en France en particulier par les collectivités locales. En effet, sur le terrain, le gestionnaire se sent parfois bien seul. Les compétences nécessaires pour connaître son site et son fonctionnement manquent parfois, regrette Roger Marciau, responsable scientifique au Conservatoire des espaces naturels de l’Isère.
Face à ce constat, « son » conseil général a créé le pôle départemental de recherche sur la biodiversité. « Chaque année, depuis dix ans, un appel d’offres est lancé auprès des laboratoires », témoigne Catherine Brette, conseillère générale et présidente du pôle.
Cette tactique est d’autant plus nécessaire que « le nombre de scientifiques naturalistes diminue », explique Olivier Manneville, enseignant et chercheur à la Station alpine Joseph-Fourier. « La majorité des scientifiques travaille sur des sujets très ciblés liés à la recherche fondamentale ou sur des problématiques globales (changement climatique). Ces sujets permettent plus facilement de publier dans les revues scientifiques de niveau A. »

Comment ça marche en Isère. Le pôle de recherche favorise les sujets qui prônent l’interdisciplinarité et la relation avec le gestionnaire. Chaque laboratoire sélectionné s’engage à venir présenter ses résultats lors du forum départemental des gestionnaires. Ce temps d’échange permet de se constituer une culture commune et de confronter les points de vue. Les questions sont concrètes : faut-il lutter contre le vératre, plante indésirable en alpage pour l’éleveur mais en revanche source de biodiversité pour le gestionnaire (2) ?
Quel protocole faut-il mettre en œuvre pour suivre l’évolution très fluctuante de la toute petite population d’orchidée du castor dans l’Île du Beurre ? Un système de repérage de chaque pied par détecteur de métaux a été ainsi proposé et expérimenté.
Les approches peuvent se faire très matérielles et précises : où et comment évaluer un passage à petite faune sous une route départementale pour les 10 000 amphibiens allant se reproduire dans la Réserve naturelle nationale du Grand Lemps.
En dix ans, une cinquantaine de programmes ont été ainsi financés pour plus de 500 000 euros.

Autre exemple dans l’Hérault où, depuis 2007, le conseil général a mis en œuvre une convention cadre de partenariat avec le Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive.
La recherche contribue aux protocoles de suivis, d’évaluation des espèces et des habitats mais aussi aux actions de gestion ou par le développement d’outils d’aide à la décision.
À chaque fois, la question scientifique est traitée en regard de la compétence du département : comment identifier les propriétés départementales prioritaires pour les inventaires de biodiversité et des actions de gestion ? Quel est le degré de fragmentation des sites Natura 2000 par le réseau routier ? Quelle est la contribution des propriétés départementales à l’élaboration de la Trame verte et bleue ?
John Thompson, directeur de recherche au CNRS Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, oriente ainsi les travaux de ses étudiants vers les politiques de biologie de la conservation et la gestion des espaces naturels protégés. « Nous apportons un appui méthodologique et une caution scientifique », souligne-t-il.
Séduits par les propositions d’outils d’aide à la décision qui découlent de ces programmes, les conseillers généraux ont signé une convention pour approfondir les liens avec plusieurs acteurs de la recherche à hauteur de 40 000 euros pour quatre ans.
Désormais, le Conservatoire d’espaces naturels du Languedoc-Roussillon intègre l’interface recherche/collectivité pour que recherche et gestion puissent alimenter et évaluer les actions de gestion et l’état de conservation des espaces naturels protégés par le département.

Pour que la collaboration fonctionne, « il est nécessaire que les besoins et les attentes soient communs », commente Jean-Jacques Brun, directeur de recherche à l’Irstea.
C’est ainsi que Thierry Lengagne, qui étudie la population de rainettes de l’ENS du Cheylas (38) prend soin de faire connaître les résultats de ses travaux aux autres gestionnaires, au grand public mais aussi aux élus de la commune. La pédagogie qu’il développe vise à emporter la décision politique, indispensable pour mener des actions à long terme.
Les espaces naturels, protégés par une collectivité locale, peuvent être des lieux privilégiés, supports d’ateliers de recherche. Un atout consisterait à fidéliser ces espaces comme terrain d’étude et à conserver la mémoire des travaux scientifiques. Dans chaque plan de gestion pourrait d’ailleurs être intégré un objectif de recherche et de valorisation des initiatives menées par les gestionnaires dont les collectivités en particulier. •

1. Enquête nationale sur la recherche et la biodiversité • 2. cf. Espaces naturels n°18