Dans les forêts corses...

 

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Pédagogie - Animation

Pierre-Marie Luciani
ONF Corsica

La vérité ? Rien n’est facile. Ce n’est pas aujourd’hui que l’Office national des forêts de Corse a pris conscience de ses responsabilités en matière de toponymie dans les forêts publiques. Comme tout organisme institutionnel, ce que l’on dit, ce que l’on écrit prend valeur de référence. Un panneau dans un lieu public, un nom sur un document d’aménagement officiel et aussitôt chacun s’accorde à penser que « c’est comme ça que l’on doit dire ». De génération en génération, les forestiers ont cherché la véracité qui témoigne de la culture locale, parce qu’ils pensent qu’ils ont un devoir de mémoire pour les générations futures.
Dernièrement, en forêt de Casamaccioli, l’agent patrimonial responsable de son aménagement s’est penché sur la carte. Il interpella le comité de direction de l’ONF : « Pourquoi ce canton nommé Chjirajolu (cerisier) ? Nul cerisier n’a jamais poussé à cette altitude. » Après recherches sur d’anciennes cartes, il s’est avéré que le nom initial était Gira sole, l’endroit où tourne le soleil. Cette appellation rendait compte de la topographie des lieux : un cirque minéral où le soleil se reflète de façon remarquable jusqu’à son coucher. Voilà ce que les anciens avaient retenu de ce lieu, voilà le rapport au temps, à l’espace et au paysage qu’ils entretenaient.
Les noms sont les témoins d’une société passée, ils nous ancrent dans l’histoire aussi sûrement que les arbres s’ancrent en terre. Ils sont aussi le présent, ils « sont » les gens. Ainsi, il nous est arrivé de nous tromper. De ne pas respecter l’exacte orthographe d’un nom. C’est une agression si forte que les panneaux sont arrachés : la toponymie touche à l’âme.
Mais des erreurs, il y en a, il y en a beaucoup : transcription incorrecte sur les cartes de l’IGN, turn over des langues officielles (depuis 200 ans, la Corse a connu un État italien, un État corse, un État français), perte d’usage…
Alors, il faut chercher, faire des études, approfondir… L’ONF Corse a lancé une réflexion à ce sujet en demandant à ses aménagistes de réhabiliter, quand ils le peuvent, les orthographes correctes en langue corse, dont dépend la signalétique en forêt.
Ce travail devrait intéresser les propriétaires des forêts publiques, à savoir les collectivités locales. Il nécessiterait qu’on lui consacre de réels moyens sous le contrôle de linguistes universitaires. Pour l’instant, la vérité, c’est que rien n’est facile.