Milieux naturels et intérêt général
Espaces naturels n°11 - juillet 2005
Jacques Rousseau-Dufour
Président de la Fédération des conservatoires d’espaces naturels
Près de la moitié des tourbières ont disparu dans notre pays durant le siècle passé. Déprise agropastorale, enrésinement irraisonné, drainage abusif, le constat n’est plus à faire. Au-delà du débat technique et scientifique sur les différents types de tourbières et leurs évolutions, la demande en terreaux produits à base de tourbe reste en augmentation. Les produits de substitution ne conviennent pas à tous les usages et pour satisfaire le jardinier-consommateur-planteur qui s’est éveillé en nous, les professionnels se tournent vers l’Est. Quoi de plus normal puisque les pays baltes font désormais partie de notre Communauté. Ils nous fournissent déjà près de 2 millions de m3 de tourbe par an, soit 70 % de nos besoins. Tant mieux pour nos tourbières, direz-vous ? Mais quel avenir pour les leurs ?
Professionnels des « substrats et supports de culture », distributeurs, consommateurs, exploitants estoniens ou lituaniens, gestionnaires d’espaces naturels, décideurs, responsables administratifs et contre-pouvoirs, tous sont concernés aux échelles locale, nationale ou européenne.
Connaître, protéger, gérer et mettre en valeur nos milieux et nos espaces naturels ne s’arrête ni à nos frontières (désormais désuètes), ni à la pratique « vertueuse du meilleur gestionnaire », ni aux efforts de la collectivité pour en « moraliser » les multiples usages et fonctions. Aujourd’hui, seules des démarches concertées ont quelques chances d’aboutir et de s’inscrire dans l’intérêt général.
Oui, j’ai bien dit « intérêt général » . Cet intérêt général qui est censé guider nos sociétés « avancées ». Certains en parlent, d’autres le cherchent, d’autres sont persuadés de l’exprimer, voire l’incarner (c’est plus grave). C’est peut-être un peu comme le beau, le vrai ou le bonheur… Chacun peut en avoir des représentations, des images, le vivre ou le cerner fugitivement, le transcrire concrètement, mais nul ne saurait en être le dépositaire.
Se poser la question de l’intérêt général, qui n’est ni l’exigence du plus fort, ni la somme des intérêts particuliers, ni des plus nombreux, c’est tenter de retrouver collectivement le sens et les directions dans lesquels nous devons inscrire nos actions.
C’est par des efforts de déconcentration, d’écoute, de questionnement, de doute et des « sursauts d’intelligence collective » que nous pouvons espérer tendre vers cet intérêt général qui doit rester le moteur de nos sociétés humaines et de nos initiatives.
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