Quand amélioration de la connectivité peut rimer avec contamination
Espaces naturels n°56 - octobre 2016
Yves Chérain (SNPN),
Marc Thibault (TDV),
Gaël Hemery (PNRC)
Ou le paradoxe de la renaturation d'un site qui conduit à rétablir les continuités hydrauliques et favorise de ce fait les entrées d’eau polluée.
Les 5 300 ha du salin de Giraud acquis par le Conservatoire du littoral, entre 2008 et 2012, constituent aujourd’hui le site des Étangs et marais des salins de Camargue. Ce changement foncier s’est traduit par une profonde modification du fonctionnement hydraulique du site, qui était composé en grande partie d’anciennes lagunes et sansouires transformées par endiguement en marais salants dans les années 1960. À une gestion à vocation industrielle parfaitement contrôlée, avec l’introduction au printemps de dizaines de millions de mètres cubes d’eau de mer sur d’immenses surfaces de pré-concentration et le maintien en eau de la plupart des étangs et partènements salicoles tout l’été pour la production de sel, a succédé très rapidement un fonctionnement plus proche des conditions naturelles caractéristiques des deltas méditerranéens (submersions hivernales par les pluies et les tempêtes marines, tendance à l’assec estival), favorisant la reconnexion hydraulique d’un système très compartimenté et rendu étanche aux entrées d'eau non contrôlées par les salins du Midi pendant près de 50 ans.
La nécessité de maintenir en eau au printemps l’étang, où nichent les flamants roses, a amené les co-gestionnaires* du site à envisager l’utilisation de l’apport d’un canal de drainage agricole se déversant à proximité. Mais des analyses ont rapidement mis en évidence la mauvaise qualité physico-chimique de ces eaux et leur contamination récurrente par les pesticides et les métaux ; un point zéro de la qualité des eaux et des sédiments sur l’ensemble du site a pu être financé en 2015 et 2016 grâce à un mécénat du WWF. Ces premiers résultats mettent en évidence l’influence sur une partie du site des apports agricoles et pourraient caractériser une contamination relique liée à l’usage industriel antérieur du territoire (PCB, métaux, HAP), en particulier dans les sédiments.
Pour éviter que la mise en protection des étangs ne se traduise par l’augmentation des risques de contamination, les co-gestionnaires mettent en place une gestion adaptative, en améliorant la connectivité entre étangs, mais aussi avec la mer et les étangs du système Vaccarès pour favoriser le renouvellement des eaux et les échanges hydrauliques et biologiques. L’introduction volontaire d’eau douce se limite à un seul étang et les eaux d’irrigation utilisées proviennent directement du Rhône pas de contamination liée à l'usage agricole camarguais).
Enfin, une négociation est menée avec l’association locale de drainage agricole, dans le cadre de son nouveau schéma directeur, pour limiter les rejets en période rizicole (avril à septembre) en acceptant en contrepartie plus d’eau d’origine pluviale en hiver. Plus largement, un projet de sensibilisation des acteurs rizicoles, initié en 2010 par la SNPN* (plan « Fumemorte » du nom d’un canal de drainage) pour limiter la pollution de l’étang de Vaccarès, a vocation à s’étendre à l’ensemble du delta, par la mise en place d’un réseau local de suivi de la qualité de l’eau et par la promotion de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement (dans le cadre d’un contrat de delta porté par le Parc naturel régional).
* Co-gestionnaires : Parc naturel régional de Camargue (PNRC), Tour du Valat (TDV), Société nationale de protection de la nature (SNPN)