Libre évolution

Quelle place pour la nature sauvage dans un parc habité ?

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Le Dossier

Grégoire Gautier,
chef du service développement durable,

Faut-il choisir entre nature sauvage et domestication ? Pas nécessairement. Le Parc national des Cévennes a même fait le pari de la libre évolution en forêt tout en y maintenant certaines activités humaines.

Les espaces de nature sauvage (arrière-plan) sont mêlés aux espaces habités (hameau de la Jonte). © Régis DescampsC’est un fait reconnu, le Parc national des Cévennes occupe un territoire façonné par la main de l’Homme depuis des millénaires.Où que le regard porte, l’oeil est attiré par un mur de terrasse, un vieux moulin, un béal ou une clède qui sont autant d’éléments qui retracent la lente et laborieuse domestication de l’espace naturel au profit de l’agropastoralisme. 

Paradoxalement, la forêt n'a jamais été aussi présente depuis cinq siècles. Suite notamment à l’exode rural et à la déprise pastorale, les surfaces forestières sont passées de 13 % du territoire en 1850 à plus de 70 % aujourd’hui.

Ainsi, comme sur de nombreux territoires de moyenne montagne, de grandes surfaces ne trouvent pas de vocation de production agricole ou forestière. Elles sont laissées en libre évolution sans que cela fasse l’objet d’un choix délibéré.

Dans le cadre de l’élaboration de la charte du Parc national des Cévennes, les forêts à haut degré de naturalité ont été cartographiées le plus précisément possible à partir des données à la disposition de l’établissement : carte des forêts anciennes, carte des habitats et de leur état de conservation, données faunistiques et floristiques ponctuelles. L’enjeu de ce travail préliminaire était de sortir d’une opposition entre les activités humaines et la « mise sous cloche », en localisant les zones où la libre évolution était plus intéressante.

Le principe des réserves intégrales a fait l’objet d’oppositions farouches des acteurs du territoire, encore marqués par les zones interdites à la chasse autrefois présentes dans le coeur du Parc national des Cévennes. En revanche, le maintien de forêts en libre évolution, où la fréquentation, la cueillette et la chasse resteraient possibles, a été accepté, voire demandé par la majorité. Retranchées dans les vallées encaissées ou des rebords de falaises, les forêts les plus remarquables du territoire sont appréciées par les habitants, sans que cela remette en cause l'accomplissement du cycle naturel de la forêt.

Approuvée en novembre 2013 après un long travail de concertation avec le territoire, la charte du Parc national fixe ses orientations pour les quinze années à venir. Dans sa carte des vocations, elle a désigné plus de 9 600 ha de forêts dont la gestion recherchée est la libre évolution. L’établissement public du Parc national des Cévennes, en partenariat avec l’Office national des forêts, les collectivités territoriales et les propriétaires privés, veille à préserver ces forêts remarquables à travers des outils contractuels ou en dernier recours par des acquisitions foncières. Dans le cadre de cette politique, le conseil d’administration du parc a approuvé l’acquisition à l’amiable de deux forêts privées à haut degré de naturalité (322 ha).

Ainsi, grâce à une approche différenciée dans l’espace et respectueuse des usages des habitants, un équilibre entre sauvage et domestique a pu être trouvé y compris dans le plus habité des parcs nationaux français.