La fin programmée de l’ibis sacré en France

« Les télévisions voulaient filmer les tirs »

 
Rencontre avec Dominique Aribert

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Gestion patrimoniale

Dominique Aribert
Déléguée interrégionale de l’ONCFS Bretagne-Pays de la Loire

 

En 2005, en application du traité de Berne, le ministère de l’Écologie demande de procéder à l’éradication de l’ibis sacré. Ce bel oiseau venu d’Égypte est une espèce potentiellement invasive1. On a déjà pu constater une prédation sur des colonies de sternes et d’autres oiseaux coloniaux. Son explosion démographique laisse augurer que cet impact pourrait s’amplifier fortement. Dans le Morbihan et dans l’estuaire de la Loire, l’opération portée par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage est bien engagée. La communication évite un aspect trop émotionnel.

En un an, vous avez éliminé 3 000 ibis sacrés sur une population invasive comptant 6 000 individus. Un succès ?
Le bilan est supérieur à celui escompté. Néanmoins, avant 2008, il y a eu des tâtonnements. En 2006 par exemple, l’arrêté préfectoral encadrant cette opération préconisait l’enlèvement des œufs ! Conclusion, peu de temps après, les oiseaux ont pondu à nouveau. L’année suivante, nous avons eu droit d’effectuer des tirs mais… hors période de reproduction. Dès nos premières interventions, les oiseaux ont fui… ils ne sont plus revenus. Pourtant, nous le savons : pour réussir ce type d’opération, il faut toucher les adultes.
Comment s’expliquent ces résultats ?
Par la pertinence de l’ensemble des moyens mis en œuvre. Les résultats sont dus à
l’investissement des agents, aux budgets accordés par les Diren pour l’achat des armes et des munitions. Et de mon point de vue, par l’aspect interdépartemental de l’action. Par ailleurs, les zones de tirs – principalement des zones de reproduction – ont été bien choisies. Nous avons également ciblé des décharges à ciel ouvert sur lesquelles les oiseaux viennent s’alimenter. J’ajouterais qu’en 2008, la Ligue pour la protection des oiseaux ainsi que Bretagne vivante se sont engagées dans cette campagne. Leur caution morale, autant que leur travail, constituent un élément du succès. En effet, suite à leur engagement, l’administration a pu constater qu’il y avait un consensus très large sur l’objectif et les frilosités ont été levées. Par ailleurs, les associations mènent, avec nous, le travail d’identification des dortoirs et des sites de nidification. Nous pouvons tirer à coup sûr, limiter les dérangements et la dispersion.
Qu’en est-il de l’implication des agents ?
Les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ont été inventifs. Un agent a fabriqué des formes d’ibis qu’il a posées sur les décharges permettant, ainsi, d’atteindre plus aisément les ibis attirés par ces formes.
L’implication est d’autant plus importante que nous avons couplé ces opérations d’éradication avec un programme d’analyse de toxicologie et de suivi sanitaire mené avec l’école vétérinaire de Nantes et le centre de soin de la faune sauvage. Nos agents sont formés pour effectuer les prélèvements sanguins sur les ibis et sur l’érismature. Sur cet oiseau comme sur d’autres, nous cherchons notamment le H5N1.
Pourquoi certains ont-ils pris position contre cette éradication ?
L’ibis est un bel oiseau. Un grand oiseau. Majoritairement blanc. Son nom, ibis sacré, renvoie à la mythologie…
Il y a également une opposition plus scientifique prétendant que cet oiseau n’est pas néfaste. Certains soutiennent également que c’est une espèce protégée. En Afrique certes où elle est autochtone, mais pas en France. Il est vrai cependant que la liste nationale des espèces invasives n’est pas encore arrêtée. C’est une brèche juridique qu’il faudrait très vite combler.
Quel écho dans le grand public ?
La presse n’a pas fait d’article assassin sur le sujet ; elle a plutôt développé l’action au titre de la biodiversité. Pourtant a priori, les médias, et surtout la télé, souhaitaient faire « des images de tirs ». Nous avons discuté, expliqué, communiqué mais nous n’avons pas accepté de jouer ainsi sur l’émotionnel. Nous avons bien fait.
Nous entretenons également un contact régulier avec la LPO qui sert de relais avec le public. Elle recueille les questions auxquelles nous répondons. Par exemple, des gens appellent pour signaler des oiseaux morts sur des îlots, ils s’interrogent sur le pourquoi des choses. Nous expliquons…
Vous prévoyez cinq ans pour réussir…
Au vu de ce premier bilan, l’objectif est atteignable. Sauf si certains sites hors programme le demeurent. Les oiseaux pourraient alors aller s’y reproduire.

Recueilli par Moune Poli

1. Se dit d’une espèce introduite qui, par sa pullulation et l’extension de son aire de répartition, produit des changements significatifs de composition, de structure ou de fonctionnement des écosystèmes.