Les tourbières boisées sont des habitats rares et remarquables reconnus par la directive Habitats.

L’arbre et la tourbière héritiers d’un conflit

 

Espaces naturels n°11 - juillet 2005

Le Dossier

Nicolas Drapier
ONF Direction de l’environnement et du développement durable

 

Quand on parle de conservation des tourbières, l’arbre fait plutôt partie des ennemis désignés, et le forestier a généralement intérêt à se faire tout petit… En effet, qu’il s’agisse de perturbation de l’alimentation en eau, d’apport de litière, d’ombrage… les maux imputables à la végétation arborescente sont légion. Les forestiers de l’ONF n’ont pas été les derniers à s’en laisser convaincre, après la large diffusion dans leurs services du manuel d’Espaces naturels de France sur la gestion conservatoire des tourbières.
Oui, mais voilà, les choses ne sont pas si simples…
La forêt tourbeuse est un objet d’intérêt patrimonial à part entière
C’est l’un des mérites de la directive Habitats d’avoir mis en exergue l’intérêt de certains groupements de tourbières boisées en les retenant comme types d’habitats prioritaires (CB 44A, code Natura 2000 91D0).
Certaines boulaies, pineraies, pessières, sont parties intégrantes du complexe tourbeux. Et, même si elles sont associées à une disparition du fonctionnement turfigène1, ces communautés n’en sont pas moins remarquables.
Cependant leur caractérisation est délicate. En effet, l’évaluation de l’intérêt patrimonial des diverses formations arborescentes sur tourbières (pour décider de leur conservation ou de leur élimination au profit d’autres habitats) est compliquée par plusieurs facteurs. Le premier est l’identification des habitats. Il s’agit de ne pas confondre un habitat naturel avec un faciès issu de semis spontanés à partir de peuplements artificiels. Ainsi, par exemple, les pessières naturelles sur tourbe, au déterminisme très particulier, sont beaucoup plus rares que les faciès d’origine anthropique indirecte, y compris en zone d’indigénat de l’épicéa.
Par ailleurs si la directive a eu le mérite de réhabiliter les forêts tourbeuses, on peut lui reprocher d’avoir presque totalement délaissé les forêts marécageuses (CB 44.9). Ainsi, outre leur rareté, certaines de ces forêts font partie du complexe d’habitats de tourbières, alors qu’elles ne sont pas reconnues par la directive. Et pour ne rien simplifier, certaines forêts de la directive n’ont de tourbeuses que le nom…
Tourbeuses ou pas tourbeuses ?
Sous végétation forestière, les risques de confusion sont importants entre vraie tourbe et certains humus forestiers très épais engorgés.
Cette question n’affecte que secondairement la caractérisation des habitats, puisqu’il est admis que certains groupements forestiers d’intérêt communautaire
peuvent se trouver sur tourbe comme dans des milieux non tourbeux.
En revanche, c’est quand on envisage la restauration d’une tourbière que le problème revêt toute son importance : déboiser une boulaie dans un site où l’accumulation de matière organique ne s’est faite depuis l’origine que sous forme d’un épais humus forestier expose à de sévères déconvenues : adieu les droséras et Lycopodiella, bonjour les joncs et autres espèces décevantes… Adieu aussi la boulaie et sa diversité bryologique (cf. lexique p. 8), entomologique…
On l’aura compris, il importe de ne pas céder à ce « syndrome du castor » qui fait souvent se précipiter le gestionnaire (y compris le forestier) pour supprimer les ligneux sur une tourbière réelle ou imaginaire. N’oublions pas, non plus, l’importance de l’arbre comme élément de structuration du paysage et de diversification des habitats d’espèces.
Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, règle d’or pour la conservation des complexes d’habitats que sont les tourbières, est un principe dont les gestionnaires doivent faire profiter les mal-aimées que sont les formations boisées. Mais, ne pas vouloir avoir de tout partout est une autre règle importante : conserver de petits bouquets de bouleaux dispersés, peut aussi signifier le maintien de semenciers qui continueront d’arroser la tourbière…

1. Production de la tourbe.