La notoriété internationale a porté ses fruits

 
Vu ailleurs

Pierre Doumet, APJM.

C'est grâce à la reconnaissance internationale des réserves de biosphère que l'Association pour la protection du Jabal Moussa a pu dépasser l'instabilité structurelle du pays et défendre un territoire exceptionnel.

Pivoine du Kesrouan.

Pivoine du Kesrouan. © APJM

Les menaces sur les paysages et le caractère naturel du Jabal Moussa (voir ci-dessous) sont diverses et bien réelles. L’ouverture et l’agrandissement de routes, de pistes, de carrières de rochers ou de sable affectent de nombreuses montagnes du Liban. L'urbanisation progresse rapidement à partir de la côte et gagne vers la montagne. Jusqu'à quand épargnera-t-elle le Jabal Moussa ?

En 2009, deux ans après la création de l’APJM (Association pour la protection du Jabal Moussa) pour préserver son intégrité écologique et culturelle, cette montagne a été désignée Réserve de biosphère sous l’égide du programme MAB de l'Unesco à l'issue d'un fastidieux travail de documentation. Il fallait bien une aura internationale pour faire avancer la situation et engager une prise de conscience nationale.

Le pastoralisme caprin et bovin a dégradé le milieu naturel du versant sud de la montagne. Le contrôle de cette activité est indispensable pour limiter l'érosion et l’appauvrissement de la flore. Des négociations et le contrôle des terrains de parcours doivent être engagés.

Autorisé à nouveau depuis peu, le charbonnage artisanal présente de réels avantages pour l’emploi, la vie locale, la mise en place d’une gestion forestière, mais lui aussi doit être contrôlé, notamment du fait des coupes sauvages. On constate aussi à certains endroits de très nombreux étuis de cartouches. La chasse, sujet sensible, nécessitera d’engager une négociation avec les chasseurs, le moment venu. Il faudra auparavant évaluer ses impacts, notamment sur les migrations d'oiseaux.

La fréquentation touristique est source de revenus pour la population. Mais le camping sauvage, les dépôts d’ordures, les feux près des campements, doivent être maîtrisés. Le Jabal Moussa pâtirait d'un tourisme de masse. La présence récente de plus d'un million de réfugiés syriens au Liban augmente encore ces pressions.

« Au Moyen-Orient où l’instabilité est structurelle », explique son président Pierre Doumet, « nous avons fait prévaloir les idées de conservation via l'autonomisation économique des communautés locales (une gestion adaptative) conformément aux lignes directrices du programme pour l'homme et de la biosphère. Ce programme représente pour nous un appui indispensable à la réflexion, l’action et la réussite… C'est ce que nous appelons la stratégie de l'hélicoptère, par laquelle on combine approche globale et approche très locale ».

Conciliant la conservation de la diversité biologique, la quête vers le développement économique et social et le maintien des valeurs culturelles associées, l’APJM adopte donc une démarche locale largement inspirée des solutions globales avancées par le réseau mondial des réserves de biosphère, étant, de jure et de facto, un membre actif de ce réseau onusien de six-cent-soixante-neuf sites.

Depuis, des changements sont visibles sur le terrain dans le champ environnemental, mais aussi de plus en plus socio-économique et culturel. La Réserve s’emploie à valoriser toutes ses ressources.

Des efforts considérables sont déployés pour stopper les carrières, et leur impact néfaste en l’absence de l’arsenal législatif nécessaire, d’un pouvoir de sanction et d’une autorité étatique seule compétente. Bénéficiant au niveau national du seul statut de « forêt protégée » octroyé par le ministère de l’Agriculture, l’adhésion de la Réserve au réseau Unesco MAB a permis sa reconnaissance comme « site naturel protégé » par le ministère de l’Environnement, ce qui constitue une protection plus efficace. Il faut note que ceci ne s’est produit qu'en 2012, trois ans après la reconnaissance par l'Unesco, qui fut en fait à l'origine d'un début de prise de conscience nationale. La notoriété internationale a donc porté ses fruits. L’APJM s’active aussi en matière de recherches scientifiques et de sensibilisation à l’environnement et propose conférences, publications spécifiques, distribution gratuite de milliers de livres sur Tabsoun aux élèves des écoles publiques.

Ici, le développement durable est un vécu de tous les jours. Qui s’étend, chaque année, à de nouvelles parcelles de cette montagne à l’histoire plurielle, dévoilant par à-coups les pans de sa vie millénaire, phénicienne, romaine, ottomane… C’est dire l’importance de la dimension culturelle et du travail continu de fouilles, de réhabilitation et de valorisation des sites et bâtiments patrimoniaux, en partenariat avec la direction des antiquités du ministère de la Culture, et en recourant parfois à l’expertise d’archéologues européens confirmés.

Pour revitaliser la montagne, trois pépinières produisent quarante-mille pousses, qui alimentent les ONG en charge de la reforestation du pays. Le développement et la promotion de l’écotourisme sont au coeur du projet : développement de nouveaux itinéraires et de sentiers diversifiés, maisons d’hôtes pour toutes les bourses, produits du terroir et artisanaux confectionnés par les femmes des villages de la région, de qualité telle que le nom de la Réserve connaît aujourd’hui une belle notoriété. Trois ans après le lancement de ce label de produits artisanaux et alimentaires, et d’une première cuisine, l’APJM vient d’inaugurer un nouvel atelier de fabrication des produits du terroir. Cet essor entraîne une plus grande équité sociale et respecte les communautés rurales et leur savoirfaire.

L’APJM est désormais forte de son expérience d'émancipation socioéconomique, et entend jouer un rôle pionnier quant à la création d’un réseau MAB méditerranéen au potentiel prometteur.