Mettre en place un observatoire de la fréquentation

L’observatoire Bountîles prône le sur-mesure

 

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Accueil - Fréquentation

Solenn Le Berre
Laboratoire Géomer, université de Bretagne occidentale
Louis Brigand
Laboratoire Géomer, université de Bretagne occidentale
Xavier Lafon
Ministère de l’Écologie

Les premiers observatoires de la fréquentation Bountîles1 ont vu le jour sur les îles de Port-Cros et Porquerolles. Une démarche de long cours dont les travaux sont basés sur des protocoles méthodologiques rarement standardisés.

Connaître les usagers des espaces protégés, comprendre leurs attentes et analyser les modalités de fréquentation, sont quelques-unes des motivations à l’origine des premiers observatoires réalisés sur les îles de Port-Cros et Porquerolles. Pour Céline Maurer, directrice adjointe du Parc national de Port-Cros, « mieux connaître cette fréquentation était un préalable à la mise en œuvre d’une politique de gestion ». En l’absence de méthode standardisée, scientifiques, gestionnaires, usagers et professionnels se sont investis depuis 2001. La démarche vise à élaborer un outil d’aide à la gestion de la
fréquentation des deux îles. Ainsi est née Bountîles, une base d’observation des usages nautiques et terrestres. La construction de ces observatoires relève d’un projet de recherche appliquée qui se poursuit toujours.
L’observatoire présente un double intérêt, soutient Céline Maurer : « Il s’agit de développer une méthode de suivi novatrice et d’affiner les connaissances dans le domaine des sciences sociales, domaine plutôt délaissé jusqu’alors par nos services. L’observatoire, qui s’intéresse aussi bien à la fréquentation terrestre que maritime, fournit aussi une base de discussion avec les différents partenaires et acteurs locaux afin d’apprécier et d’avoir une vision commune. »
Mettre en œuvre un observatoire suppose, en premier lieu, de réaliser une étude de fréquentation (la plus précise possible !) susceptible de révéler certains impacts, physiques, environnementaux mais aussi sociaux. Basée sur des approches quantitative, qualitative et comportementale, elle s’appuie sur la collecte de données de terrain originales dont la liste dépend de la spécificité de chacun des sites. Un peu comme une énigme policière, il s’agit, à ce stade, de rechercher des choses qui ne sont pas évidentes de prime abord. Un exemple ? Penser aux fréquentations de nuit ou aux catégories de visiteurs, plus marginaux, ceux qui viennent d’une façon différente ou qui ont une autre façon d’approcher l’espace.
Les données quantitatives découlent essentiellement des comptages, qui peuvent se faire à partir de l’observation directe, avec l’utilisation d’écocompteurs, ou bien de photographies obtenues à partir de moyens aéroportés. Les observations qualitatives sont obtenues à partir de l’utilisation de questionnaires élaborés sur la base de séries d’interviews. Ces techniques d’entretien, de questionnaire ou de sondage permettent de comprendre une réalité sociale. Il convient également de mener des observations directes sur le terrain : l’observation comportementale présente l’intérêt de caractériser les attitudes des visiteurs dans leur espace et de les confronter avec les discours recueillis au cours des entretiens ou dans les questionnaires. En effet, au-delà de la caractérisation et de la mesure de la fréquentation, l’étude participe à la mise en œuvre d’un processus de concertation associant scientifiques, gestionnaires (direction, chefs de secteurs, gardes moniteurs) et usagers.
Les conclusions de l’étude et son appropriation par les gestionnaires conduisent ensuite à imaginer l’observatoire proprement dit dont le principe fondateur vise à disposer d’un outil simple, peu coûteux, opérationnel et évolutif. À Port-Cros et Porquerolles, deux années ont été nécessaires à la création de Bountîles.
Ainsi, à partir des résultats de l’étude de fréquentation, les personnels du parc national, les scientifiques, certains usagers et professionnels, ont isolé des pistes de suivi prioritaires. Le travail de recherche a consisté à structurer et hiérarchiser ces pistes afin de définir des indicateurs de suivi cohérents, à tester ces indicateurs avec les gardes et les professionnels, puis à construire les outils opérationnels qui font vivre l’observatoire (base de données, recueil méthodologique, tableau de bord des stagiaires).
Pour ne pas aboutir à une somme d’indicateurs inapplicables, une répétition générale a eu lieu (en 2005) avec les gardes du parc national. Cette étape a matérialisé le passage de relais entre les tests scientifiques et l’application des indicateurs opérationnels sur le terrain.
Pour Céline Maurer, « la principale difficulté est de maintenir la récolte et la qualité des données d’une année sur l’autre même si les indicateurs retenus l’ont été sur des critères de facilité de mise en œuvre. D’ailleurs, le suivi de la fréquentation en “ relatif ” depuis maintenant 2003 nécessiterait un recalage avec une nouvelle étude exhaustive de la fréquentation ».
Toujours en évolution, l’observatoire s’adapte aux préoccupations du moment ou à l’émergence d’activités nouvelles.
L’accompagnement scientifique permet de garantir la cohérence. « L’avantage de Bountîles, c’est qu’il s’agit d’une boîte à outils à laquelle on peut rajouter de nouveaux modules en fonction de questions nouvelles, développe la directrice adjointe du parc. Ainsi, depuis 2003, un suivi de l’activité plongée a été initié à Port-Cros. En 2009, la réflexion porte aussi sur un nouvel indicateur visant le ressenti des habitants vis-à-vis de la fréquentation. Cette année, nous réfléchissons également à mettre en perspective le suivi de la fréquentation avec celui des impacts en termes d’érosion, d’usages (déchets, consommation d’eau, etc.)… Ces derniers aspects visent à approcher la notion de capacité de charge. Ils relèvent d’un nouveau champ de recherche et devraient permettre une aide à la prise de décision et à la définition d’une politique concertée de la fréquentation. »
Chaque année, les principaux résultats sont résumés sur des fiches de synthèse (quatre par île). Ils sont présentés aux Port-Crosiens et aux Porquerollais lors de réunions publiques. Les questions sont nombreuses et les débats dépassent souvent la stricte thématique de la fréquentation pour s’engager sur la question du devenir global des îles. Cette appropriation de l’outil par les agents, les responsables du parc, et dans une certaine mesure, les usagers et les populations locales, est certainement un des aspects les plus innovants du projet. C’est aussi l’assurance d’une certaine pérennité pour ces observatoires.

1. Base d’observation des usages nautiques et terrestres sur des îles et littoraux.