Architecture

Patrimoine bâti : révéler l'esprit des lieux

 

Espaces naturels n°56 - octobre 2016

Aménagement - Gouvernance

Yves Baret, 
Architecte DPLG, IDTPE, serviceappui à l'aménagement et au développement durable au Parc national de La Réunion
 

Comment entretenir et rénover le bâti sur un site protégé tout en respectant le génie du lieu ? Préserver ce patrimoine culturel de nos sites remarquables, c'est avant tout en comprendre l'histoire, l'identité et la relation unique tissée avec le paysage.

refuge pic de l'aigle

Le nouveau refuge de l'Aigle sur son pic en lieu et place de l'ancien, renouvelle et conforte l'histoire de ce site emblématique. © Lucien Tron

QUELLES INTERVENTIONS POSSIBLES POUR UNE MAISON EXISTANTE SANS TRAHIR LE GÉNIE

Les gestionnaires d'espaces naturels protégés peuvent avoir besoin ou envie d'intervenir sur du bâti pour y prévoir par exemple un espace d’accueil et d'interprétation, ou des services. Dans ce cas, dans l'optique de gestion conservatoire, ils se posent la question de la valeur de l'existant, et pas seulement de la matérialité du bâtiment, mais aussi de son caractère, de son esprit, de son génie, Comment identifier et caractériser ce génie du lieu ? Que signifie le respecter ?

Le génie du lieu tient parfois à un rapport entre l'édifice et le lieu, dans la fusion entre le patrimoine bâti et le paysage construit, mais aussi par les traces du temps qui correspondent à différentes interventions sur des ouvrages toujours entretenus, restaurés.

Mais encore dans la virtuosité et les performances des techniques et savoir-faire mis en oeuvre (pierres en parement savant, charpente illustrant la connaissance du bois, de sa coupe et de sa mise en oeuvre) et dans la dimension des pièces et leur agencement pertinent, la simplicité des volumes, la qualité des décors et des finitions (moulures corniches, menuiseries, stuc, fresque...). On le voit aussi dans la qualité de la lumière qui taille dans ces volumes des espaces particuliers, des tableaux du quotidien sans cesse renouvelés.

Ces maisons construites selon des techniques et des savoir-faire traditionnels ne sont pas des produits finis, elles ont leur propre trajectoire. Elles sont le témoignage d'une longue évolution architecturale, ne trouvant les conditions de leur pérennité que dans un entretien constant et régulier de ses éléments. De même qu'ils conservent les milieux et les habitats dans l'optique de leurs fonctionnalités, les gestionnaires seront sensibles à une conservation du bâti qui respecte la symbiose avec le paysage. Les ouvrages issus de l'architecture dite de cueillette (traditionnelle) sont en effet le fruit des matériaux et savoir-faire locaux. Ils sont intimement liés aux ressources du territoire, contrairement à l’architecture conventionnelle, « hors-sol ».

DESTRUCTION OU PURGE

Une maison traditionnelle fonctionne comme un tout. Son implantation sur le terrain, son orientation répondent à des critères objectifs de gestion optimale des qualités du lieu. Des interventions postérieures à la construction peuvent grandement
hypothéquer le bon fonctionnement global de la maison sur son site, par exemple la multiplication d'appentis ou d'ajouts sur les façades peuvent compromettre la bonne aérologie de la maison et modifier fortement la gestion de l'humidité dans les murs et l'apport solaire passif sur certaines façades indispensable au bon équilibre de l'ouvrage. Dans ce cas-là, démolir des appentis devient une action de bonne gestion du bâti.

ENTRETIEN

Trop souvent négligé, l'entretien est à la base de toute intervention de gestion du patrimoine bâti ; il est le garant de la pérennité des ouvrages, de la transmission des savoir-faire. Il s'agit aussi  d'une action de veille. Il demande une intervention a minima, possible lorsque l'on veut conserver à l'identique un bâtiment et que son état ne justifie pas une restauration.

RESTAURATION

Comme pour l'entretien, la restauration met en oeuvre des techniques, des modes opératoires et des matériaux cohérents avec l'histoire de la construction de la maison pour réparer ou reconstruire à l'identique une maison, ou certaines de ses parties, qui se sont dégradées. La restauration impose d'inscrire les travaux dans une logique de conservation, elle garantit l'homogénéité des interventions, assure de fait la transmission du bâti avec tout son sens et parfois son âme.

RÉHABILITATION OU RÉNOVATION

Il est assez courant pour nous, gestionnaires de sites naturels, d'avoir à réhabiliter ou rénover une maison agricole où la partie habitée représentait la portion congrue du bâtiment. Réhabiliter c'est ici accueillir de nouvelles fonctions, par exemple dans une grange ou une bergerie.

La rénovation accompagne l'évolution et les mutations d'usages d'un bâtiment ancien, elle se dégage de l'obligation d'utiliser des matériaux et techniques originelles pour y importer techniques et matériaux contemporains exogènes au site et à la construction. Elle remet à neuf, déroge à la règle fixée par les principes de restauration, tout en maintenant la cohérence et l'exigence de lisibilité de l'histoire de la maison. Elle adapte le bâti à la norme conventionnelle de l'habitat d'aujourd'hui.

CONSTRUCTION NEUVE D'UNE EXTENSION OU D'UNE PARTIE RECONSTRUITE

Le plus souvent, les plans de gestion d'un espace naturel concernent également un projet sur du bâti traditionnel, ce qui peut justifier la construction d'une partie neuve en complément de surface, une extension pour répondre aux nouveaux besoins identifiés (accueil, services, atelier, hébergement...). Cette attitude est compatible avec la conservation du génie du lieu, elle induit de fait une clarté de choix dans la nature même de la nouvelle réalisation. Sera-telle construite à l'identique des parties historiques existantes, au mieux comme un fac-similé, au pire comme un pastiche décalé, ou assumera-t-on une construction contemporaine utilisant matériaux du site et techniques récentes?

PERSPECTIVES​

Chaque maison porte en elle son propre projet, elle s'inscrit dans une trajectoire. Et comme pour la gestion des espaces naturels, une méthode est indispensable pour accompagner tout projet d'évolution. Cette méthode s’appuie sur la connaissance du lieu, de la maison et de son environnement, des techniques de constructions, de l'usage qui en est fait, de l'histoire et de la connaissance de ses habitants. Véritable approche scientifique pour acquérir les données factuelles du projet, elle est associée à une approche sensible indispensable à tout projet de création, où l'indicible naît de ce que l'on ne peut pas exprimer mais de ce que l'on ressent intimement. Mais ce n'est pas qu'une affaire d'expert, le génie du lieu ne se décrète pas, il s'impose à travers les dires des anciens habitants, voisins, habitants du village et/ou de quelques érudits qui connaissent le bâtiment ou le lieu. Il est parfois révélé par le passage d'un expert, architecte du patrimoine, historien, ou par quelque amateur éclairé.