>>> marchés publics et environnement

Pour la juste clause

 

Espaces naturels n°3 - juillet 2003

Droit - Police de la nature

Joël Demasson

 

Le juge européen ouvre l’achat public à l’idée d’environnement, mais le doute taraude les exégètes de notre code des marchés : la préoccupation écologique est-elle un critère légitime d’attribution ? État des lieux à la veille d’une nouvelle réforme.

Ni Kyoto, ni Max Havellar, les acheteurs publics n’ont pas à se préoccuper d’environnement ; leur rôle est d’acheter. C’est du moins la lecture qui se dégage de notre code des Marchés publics et de la jurisprudence du Conseil d’État. Pourtant, sous l’impulsion du juge communautaire et sur toile de fond de future directive européenne, la clause environnementale s’invite dans les dossiers de consultation.
Le juge européen
ouvre le jeu
Le critère environnemental peut être pris en compte sous condition qu’il ne limite pas la concurrence et que les candidats soient clairement informés, dès l’appel d’offres, de l’existence de ce critère de sélection. Ainsi en a décidé la Cour de justice des communautés européennes dans sa jurisprudence Concordia Bus Finland Oy AB du 17 septembre 2002, portant sur la régularité d’attribution du réseau d’autobus de la ville d’Helsinki.
Le juge fonde sa décision en relevant que les textes n’énumèrent pas limitativement les critères d’attribution des marchés publics. Il souligne aussi que le Traité instituant la Communauté (art. 6) intègre les exigences de protection de l’environnement dans la mise en œuvre des politiques européennes. Le juge européen en conclut donc que, « lorsque, dans le cadre d’un marché public relatif à la prestation de services de transports urbains par autobus, le pouvoir adjudicateur décide d’attribuer un marché au soumission-naire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, il peut prendre en considération des critères écologiques, tels que le niveau d’émissions d’oxyde azotique ou le niveau sonore des autobus. Ceci pour autant que ces critères sont liés à l’objet du marché, qu’ils ne confèrent pas au pouvoir adjudicateur une liberté inconditionnée de choix, qu’ils sont expressément mentionnés dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché et respectent tous les principes fondamentaux du droit communautaire, notamment le principe de non-discrimination. »
Ces attendus valent pour tout type de marché public, qu’il s’agisse d’un marché de service, de fournitures, de travaux, ou même d’un marché passé dans les secteurs dits « spéciaux », tels l’eau, l’énergie, les transports ou les télécommunications.
Le code le dit, mais…
Dans le code des marchés publics français, les considérations environnementales ne sont ni expressément reconnues ni exclues. L’article 53 prévoit bien que l’attribution des marchés « se fonde sur un ou plusieurs critères variables » (coûts, valeur technique…) mais se garde de viser le critère environnemental. Toutefois, ce même article laisse la porte ouverte puisqu’il stipule que « d’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution ». À condition cependant qu’ils aient « été définis et hiérarchisés dans le règlement de la consultation ». Cette invite fait écho à l’article 14 du code des marchés publics, qui envisage clairement la possibilité d’une clause environnementale dans un marché public en ces termes : « la définition des conditions d’exécution d’un marché dans le cahier des charges peut viser à promouvoir l’emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières… ou à protéger l’environnement ».
Mais la jurisprudence est très restrictive dans l’interprétation de ce qui pourrait être la reconnaissance d’une clause environnementale. Elle relève l’absence explicite du critère environnement dans l’article 53 du code des marchés et souligne que, selon l’article 5, « le marché conclu par la personne publique doit avoir pour objet exclusif » de répondre aux besoins à satisfaire.
Acheter
pour satisfaire un besoin
Le juge administratif français fait donc son miel des différents articles du code. Il dessine les contours d’un acheteur public dont l’objectif est de satisfaire un besoin identifié. Cet acheteur ne peut s’écarter de la voie qui lui est tracée, pour dévier vers ce qui s’apparenterait plus à une politique environnementaliste qu’à une politique d’achat. Ainsi, s’il achète du café Max Havellar, c’est qu’il a besoin de café, et non pour promouvoir le commerce équitable. Dans le cas contraire, il ne satisfait pas un besoin, il mène une politique et se fait frotter les oreilles par le juge.
Donc, qu’on ne s’y trompe pas ! La finalité du code des Marchés publics n’est ni d’acheter pour préserver l’environnement ni de le préserver en achetant. L’acheteur public peut, en revanche, trouver à acheter tout en préservant. À l’heure où développement durable et principe de précaution ambitionnent une légitimité constitutionnelle, cette lecture apparaît pour le moins minimaliste.