Principe de précaution

 

Espaces naturels n°17 - janvier 2007

Des mots pour le dire

Éric Binet
Haut fonctionnaire chargé de la terminologie et de la néologie en matière d’environnement au ministère en charge de l’Écologie

 

Contrairement à certaines idées reçues, le principe de précaution n’est pas un principe d’abstention mais un principe d’action.

Attention, précaution ! De l’attention à la précaution, il semble n’y avoir qu’un pas… Imaginons que l’aléa soit connu : une pierre peut tomber. Tel est le danger. L’enjeu est de se trouver ou non dessous. La probabilité de cette chute et la gravité de son effet en font un risque certain. Alors, sachant qu’il vaut mieux prévenir que guérir, vous réduisez votre vulnérabilité : soit vous vous retirez du lieu, soit vous vous protégez de la chute.
Ce faisant, vous appliquez donc ce que les hommes pratiques nomment depuis l’Antiquité la vertu de prudence, et vous êtes sur la plus grosse branche de cet arbre de la prudence, celle que l’on appelle aujourd’hui le « principe de prévention ».
Maintenant, parlons d’un autre cas, et ne confondons pas. Il ne s’agit plus d’un risque certain comme le danger dont nous parlions, mais d’un risque incertain. « Il y a risque peut-être », il y a incertitude. Cependant, le doute ne doit pas venir de l’ignorance, mais justement des connaissances scientifiques et techniques du moment. Les expertises elles-mêmes peuvent être incertaines sur les causes ou sur certains effets, mais elles savent pourtant dire : il y a risque de dommages graves, pouvant être irréversibles sur l’environnement – et consécutivement sur l’Homme. L’usage du principe est donc limité. Des exemples viennent à l’esprit : OGM, biotechnologies, nanotechnologies, usage intensif du téléphone portable… Lorsque le risque est incertain, le principe dont nous parlons exige de refuser le vieil adage : « Dans le doute, abstiens-toi ! » C’est parce que certains le confondent avec ce recul, voire cette inertie paralysante, que le principe de précaution a encore des ennemis. Or ce principe n’est pas un principe d’abstention, mais un principe d’action.
Il impose de prendre sans retard des mesures proportionnées au dommage estimé, afin d’éloigner ce que l’on connaît de la menace considérée comme objective. Et la première de ces mesures est sans nul doute d’approfondir l’évaluation des risques, ce qui mobilise la recherche. « Savoir plus pour risquer moins. » La précaution suppose un jugement, elle n’en tient pas lieu. Elle ne peut servir comme justification pour ne rien oser faire par peur, ou faire n’importe quoi par ignorance, ou agir avec inconscience en attendant d’obtenir la certitude instamment demandée du non-risque. La précaution estime en effet qu’attendre la certitude ne permettra le plus souvent que de réagir, et non de prévenir.
Certes, la décision n’est jamais évidente en contexte incertain, mais elle doit rester axée sur l’objectif de parer à la réalisation du dommage potentiel. Il est vrai que l’action engagée sous l’égide de la précaution pourrait entraîner des « dommages collatéraux » (transferts de pollutions, paniques, déplacements de population, chômage…), et ces dommages sont toujours mis dans la balance de la décision. Mais la précaution refuse le principe d’inaction des pouvoirs publics, le « laisser-faire » vis-à-vis de décisions économiques qui seraient dangereuses pour l’environnement et donc pour la santé humaine. Son attitude procède d’un esprit d’ouverture et de réflexion qui ne défigure pas la complexité, qui prend en compte l’intérêt collectif, en tentant de répondre non seulement pour aujourd’hui mais pour demain, et elle peut donc conduire à des actions mesurées.
Ces actions sont provisoires, car elles ne doivent traiter que d’un état temporaire, avant que et afin que les risques soient avérés, et que l’on puisse alors choisir et mettre en œuvre les mesures fonctionnelles du principe de prévention. La précaution ne se substitue pas à la prévention, elle s’y adjoint, elle la prépare, elle y conduit. Dans le risque de vivre, elles répondent ensemble de la prudence d’agir.
L’article 5 de la charte de l’environnement adossée au préambule de notre Constitution, consacre le principe de précaution, puisqu’il indique que les autorités publiques veillent à son application. Suivant cette orientation, nous le définissons donc comme le principe selon lequel, lorsqu’un dommage peut survenir, doivent être évalués et pris en compte les risques qui n’ont qu’un caractère incertain en l’état des connaissances scientifiques, mais pourraient affecter de manière grave et irréversible l’environnement, afin d’adopter des mesures effectives, provisoires et proportionnées, pour éviter ledit dommage.