Gouvernance

 

Espaces naturels n°16 - octobre 2006

Des mots pour le dire

Éric Binet
Haut fonctionnaire chargé de la terminologie et de la néologie au ministère de l’Écologie et du Développement durable.

 

Certains mots se glissent dans notre vocabulaire et s’y répandent sans définition stable… Ainsi de la gouvernance.

En ancien français, gouverne et gouvernement se référaient à l’action de piloter au moyen du gouvernail d’un navire. En 1475, Sir John Fortescue publie The governance of England. L’auteur y vantait la monarchie anglaise, où le roi obtient le consentement du peuple sur les lois, ce qui l’oppose à la monarchie française, proche, à ses yeux, de la tyrannie. Ainsi, décrivant le pouvoir, il ne s’agissait pas seulement de désigner le titulaire du gouvernement, mais le processus de consentement à la loi. La gouvernance s’intéresse donc à la manière dont les décisions sont prises, à la trame des acteurs, à la façon dont les pouvoirs sont exercés.

La gouvernance fait partie de ces mots nouveaux (en -ance ou en -ing) qui mettent en exergue, non seulement des objectifs et des résultats, mais les processus mis en œuvre pour les atteindre. Par exemple, l’État, dans ses modes d’intervention, devrait devenir moins régalien (décision – annonce – justification), voire minimaliste, coordonner acteurs et marchés, et ainsi s’appuyer sur la coopération entre réseaux et arbitrer après concertation. Elle oriente donc vers une forme de gouvernement par objectifs supposant la participation, le compte rendu et l’évaluation.

L’évaluation repose sur des normes techniques (ex. comptables, iso…), et utilise des indicateurs de performance : efficacité (résultats comparés aux objectifs) et efficience (résultats comparés aux ressources dispensées).
Le postulat de la participation – des citoyens à la république, des administrés aux administrations, des salariés et actionnaires à l’entreprise… – suppose qu’un choix rationnel émergera si le mode de gouvernance associe libre circulation de l’information et collaboration. Cependant, en préconisant une forte participation, la gouvernance affronte la démocratie élective qui, elle, procède par délégation et affirme que la volonté générale est une construction délibérée, et non pas seulement le reflet d’une opinion collective. S’agit-il d’un principe de légitimité différent, d’un contre-pouvoir vis-à-vis du pouvoir issu des urnes, ou de l’élargissement de la démocratie ? Le débat est ouvert…
Ainsi, nous définirons la gouvernance comme « la manière dont les décisions sont prises et dont s’exerce l’autorité quant aux modes de
participation qu’elle requiert », qualifiant ainsi un art de gouverner, qui implique information claire et complète, formation du public et concertation effective avec lui jusque dans l’évaluation des résultats.