Le retour à la liberté du dernier cheval sauvage

 
Vu ailleurs

Frédéric Joly
Association pour le cheval de Przewalski : Takh

 

Dix ans auront été nécessaires avant de réintroduire le cheval de Przewalski dans son milieu d’origine : la Mongolie. Le fruit d’une longue préparation en Lozère et dans le Khomiin Tal.

Le projet remonte à 1990. Pour redonner sa liberté au cheval de Przewalski et afin de le réintroduire en Mongolie, aire historique de l’espèce, l’association « Takh » 1 voit le jour. Sa spécificité réside dans une prise en compte très poussée du comportement de l’espèce dans son milieu naturel (éthologie).
La préparation au Villaret
C’est en Lozère, sur le causse Méjean que « Takh » élève des chevaux de Przewalski. Venus de zoos, les fondateurs du troupeau sont arrivés en 1993 et 1994.
Ils vivent là, en semi-liberté, sur ce plateau calcaire lozérien qui réunit des conditions naturelles très proches de celles de la Mongolie. L’élevage, qui s’étend sur presque 400 ha, est situé dans le Parc national des Cévennes. Si les interventions humaines sont quasi inexistantes (généralement les animaux ne sont pas nourris, les juments poulinent seules, aucun vermifuge n’est administré…), un monitoring sanitaire et éthologique très poussé est par contre appliqué.
Aujourd’hui, les chevaux ont retrouvé leurs aptitudes à se nourrir et à se reproduire seuls. Ils ont pu, chose extrêmement importante, reformer la structure familiale en harem, caractéristique des chevaux vivant en liberté. Un harem se compose d’un étalon, de une à trois juments et de leur progéniture jusqu’à la puberté. Dans cette structure, chacun joue un rôle précis et indispensable à la survie de l’espèce : les poulains transmettent le patrimoine génétique de leurs parents ; les juments expérimentées sont à l’initiative des déplacements à caractère alimentaire ; les étalons protègent les jeunes des prédateurs. Le maintien de cette structure familiale est donc fondamental pour que l’adaptation à un
nouveau milieu ait toutes les chances de réussir. C’est pourquoi il est nécessaire de transplanter des familles formées de longue date et dont la structure est parfaitement rodée. Au Villaret, en dix ans, plusieurs familles ont pu se constituer. Les données éthologiques, recueillies depuis le début du projet, permettent d’affirmer que certaines familles sont parfaitement aptes à être transportées en Mongolie.
La préparation en Mongolie
Conformément aux directives de l’Alliance mondiale pour la nature (IUCN), les lâchers de chevaux furent prévus dans un espace protégé ; à savoir dans la région de Khomiin-Tal, une zone périphérique du Parc national de Khar-Us-Nuur dans l’ouest du pays.
En l’échange du financement pour la réhabilitation de puits, « Takh » a obtenu des autorités locales qu’elles mettent un espace de 13 000 ha à disposition exclusive du cheval de Przewalski. Réservée pour trente ans, la zone a été clôturée en 2003, permettant à la steppe de bénéficier d’une année de pousse sans aucun prélèvement par les troupeaux. Cette clôture limite, par ailleurs, les risques d’hybridation avec les chevaux domestiques. Et, de la même manière, elle supprime la concurrence avec le bétail pour l’herbe.
La réimplantation
des chevaux
Une fois les familles choisies et le site d’accueil prêt, les chevaux devaient encore parcourir 6 000 km. Septembre semblait favorable. La densité en insectes piqueurs avait décru après le pic estival et la température était encore clémente.
Le premier transport eut lieu en 2004. Au Villaret, douze chevaux furent chargés dans des caisses individuelles. Ils furent ensuite amenés, par camion,
jusqu’à l’aéroport de Nîmes-Garons 1. Un vol long-courrier 2 les a alors acheminés jusqu’à Khovd (mille kilomètres à l’ouest d’Oulan Bator, capitale de la Mongolie). C’est un avion cargo de Miat (la compagnie mongole) qui les a transportés jusqu’au centre de Khomiin Tal 3. La fin du voyage (jusqu’au site de lâcher clôturé 4) fut assurée par un camion tout terrain. L’ensemble du transport aura duré plus de quarante heures (enfermement dans les caisses et phase de test de nervosité compris) 2. Pendant toutes ces phases, les chevaux ont voyagé sous tranquillisants. Les soigneurs de l’association ainsi qu’un vétérinaire de l’ITG 3 ont assuré une constante surveillance.
Le futur à Khomiin Tal…
Ces douze chevaux seront rejoints par douze autres en 2005. En tout, vingt-quatre individus seront les fondateurs d’une population qui, à terme, doit être viable et autonome.
La capacité d’accueil du site devrait être atteinte d’ici dix à quinze ans. Un temps, qui sera d’ailleurs mis à profit pour mettre en œuvre un plan de pâturage valable pour le reste de Khomiin Tal. Après le contexte politique mouvant qu’a connu la Mongolie au début des années 90, ce plan s’avère essentiel : il devrait permettre de prévenir les risques de surpâturage.
Ce plan sera couplé à un programme de développement local en partenariat avec le WWF Mongolie, l’administration du Parc de Khar-Us-Nuur, les ONG compétentes et bien sûr « Takh ». Ce programme permettra au cheval de Przewalski et aux autres ongulés sauvages de cohabiter en bonne intelligence avec les troupeaux des Nomades ; constituant de ce fait une prévention contre les facteurs qui ont fait disparaître l’espèce au siècle dernier.
Et en Mongolie…
Deux autres réimplantations du même type ont déjà eu lieu en Mongolie : à 1 000 km à l’est et 400 km au sud dans des Parcs nationaux. Cette séparation géographique permet de disperser les risques liés à une catastrophe climatique (événement fréquent en Mongolie), épidémique ou autre. À terme, des échanges d’individus seront organisés pour assurer un minimum de brassage génétique. Et, dans quelques dizaines d’années, quand les chevaux seront assez nombreux pour se déplacer et se rencontrer entre populations, alors nous pourrons dire : le cheval de Przewalski est redevenu libre !

1. Cheval
de Przewalski en langue mongole.

2. Partenaires sur l’opération
de transport : WWF-Mongolie, WWF-France, ITG, Tour du Valat, Parc national des Cévennes, Région Languedoc-Roussillon.

3. International Takhi Group.