Comprendre

La valeur d’un espace naturel est une notion très composite : à maîtriser !

 
Le Dossier

Bruno Maresca
Credoc Anne Dujin
Credoc
 

Oléïculture à Porquerolles, Parc national de Port-Cros © Laurent Mignaux - Meeddm

Mesurer la valeur économique des espaces naturels protégés procède des évolutions qui
accordent une attention croissante à l’efficience économique de la décision publique. Il s’agit de s’assurer que l’action est efficace au sens où les bénéfices qu’elle produit sont supérieurs aux coûts sociaux qu’elle engendre. Cette évaluation appelle le développement d’une démarche spécifique : la définition de la valeur des biens non marchands.
L’évaluation économique cherche alors à définir la valeur attachée aux espaces naturels dans le but d’étayer le raisonnement sur le montant des moyens financiers à consacrer à leur protection, et d’aider les décideurs et gestionnaires d’espaces naturels à argumenter le bien-fondé d’une politique de protection. Elle doit également servir de base au raisonnement évaluatif sur la politique publique considérée.
Or, si la notion de valeur attachée aux espaces naturels est largement convoquée pour justifier leur protection, il manque une définition de ce que cette notion recouvre précisément, et une analyse critique des démarches méthodologiques qui permettent de l’évaluer, ce qui d’ailleurs nourrit des controverses sur la validité des chiffres produits.

La question de la valeur ne se pose pas de la même manière si l’on cherche à comprendre quelles sont les retombées économiques d’un dispositif de protection en termes d’emplois, de développement d’activités ; si l’on souhaite déterminer la valeur culturelle patrimoniale ou paysagère d’un site protégé par voie d’enquête auprès des résidents ou des usagers de l’espace ; ou encore, si l’on se concentre sur la valeur des services rendus par l’écosystème (protection contre les inondations, piègeage de carbone…).
Appréhendée selon un angle ou un autre (en fonction des finalités du questionnement), la valeur d’un espace peut varier considérablement, ouvrant la voie à des débats d’experts sur le « juste chiffre », qui nuisent à l’utilité opérationnelle des résultats.
Ce relativisme n’est pas problématique en soi, dès lors que les partis pris sont explicités dans l’analyse.
Le nombre d’emplois créés est, par exemple, une manière d’appréhender la valeur d’un espace naturel qui diffère nécessairement de la valeur estimée à l’aune du nombre de tonnes de carbone piégées par l’écosystème, ou encore du consentement à payer des usagers pour la protection de l’espace. La différence sera notable en termes de montants obtenus, mais également en termes de jugement porté sur l’action publique.
Trois grandes démarches (voir tableau) sont classiquement convoquées pour mesurer la valeur des espaces naturels. Elles se fondent sur des schémas théoriques qui opèrent une hiérarchisation, voire une sélection, parmi des éléments de valeur pris en compte.

L’approche par les biens et services rendus par les écosystèmes est fondamentalement de nature comptable. Le raisonnement traduit en unité monétaire la contribution d’un écosystème à la richesse régionale ou nationale : services d’approvisionnement en eau, nourriture, matières premières, services de régulation (climat, protection des sols), services culturels et récréatifs…
Les montants obtenus, souvent très élevés, visent à justifier l’intérêt de la conservation de ces écosystèmes. Cette démarche est notamment celle du Millenium ecosystem assessment (voir p. 31).

L’approche par les retombées économiques de la protection de l’espace est plus circonscrite quant aux éléments de valeur pris en compte. Tous les bénéfices potentiels que recèle l’espace considéré ne sont pas valorisés. Il s’agit avant tout d’identifier la plus-value d’un mode de gestion qui vise à protéger un espace remarquable ; que le caractère remarquable soit naturel,
culturel (sites protégés) ou social (populations protégées dans certains pays).
L’analyse est centrée sur les dynamiques socio-économiques du territoire sous l’effet de l’introduction de nouvelles pratiques de gestion de l’espace : effets sur le développement d’emplois, sur la création de compétences ou encore sur les dynamiques de coopération ou de gouvernance. On peut ainsi dresser un bilan des coûts et bénéfices potentiels induits par un changement de la gestion de l’espace1.

Les approches fondées sur la valeur économique totale (VET) élargissent le spectre
des valeurs prises en compte puisqu’elles englobent les valeurs d’usage et les valeurs hors usage. Les deux registres sont appréhendés différemment. 
• Les valeurs d’usage correspondent à l’utilisation effective des ressources (pâturage, pêche professionnelle…) et des services (écotourisme, séquestration de carbone…). L’usage direct du milieu (à travers les activités productives ou récréatives) est distingué de l’usage indirect qui renvoie aux différents services rendus par l’écosystème (préservation de la ressource en eau, épandage des crues…).
• La valeur hors usage est appréhendée au niveau des individus. Elle rend compte de l’importance patrimoniale que revêt l’espace naturel aux yeux des populations concernées (généralement calculée à partir du consentement à payer des individus interrogés).
La valeur d’usage renvoie à des bénéfices collectifs tandis que la valeur d’existence renvoie à l’appréciation subjective des individus, forgée par des représentations sociales, de l’utilité que leur rapporte le bien naturel.
La démarche d’analyse coûts/
bénéfices mobilise la notion de VET et met en regard les coûts de protection avec la valeur du bien en tant qu’il est protégé, pour juger de l’efficience économique de la décision publique.

Dans le cadre de ses différents travaux sur les espaces naturels protégés, le Credoc a développé une approche transversale et opérationnelle qui permet aux gestionnaires et décideurs publics de choisir des méthodes adéquates en fonction de leur questionnement et des ressorts de valorisation privilégiés. Elle distingue trois grands registres, qui offrent des lectures complémentaires de la valeur attachée aux espaces naturels : la valeur socio-économique, la valeur écologique et la valeur sociale.
• La valeur socio-économique comprend les retombées économiques de la protection en termes d’emplois, la production de biens naturels marchands, l’accumulation de compétences résultant de la conduite de la protection d’un espace et, plus largement les effets de la protection sur le développement local.
• La valeur écologique est centrée sur les effets environnementaux de la protection. Ils représentent la somme des services fournis par les écosystèmes et comprennent les fonctions de régulation (climat, formation des sols, cycle de l’eau), la protection contre les risques climatiques et les dégâts causés par les incendies, les services fournis par les espèces (pollinisation, équilibre de la faune et de la flore), et le maintien de biodiversité et du patrimoine génétique.
• La valeur sociale traduit les usages culturels, récréatifs, scientifiques et éducatifs. Les bénéfices sur la santé et la qualité de vie ainsi que la valeur reconnue au bien en tant qu’il existe sont rassemblés dans la valeur sociale des espaces protégés, au sens des bénéfices tels qu’ils sont perçus par les bénéficiaires de l’action de protection. 
Le cumul des valeurs obtenues est rarement pertinent. Il est en effet problématique de rechercher, à travers la mobilisation de méthodes économiques, une valeur absolue à un espace naturel protégé. Le résultat court le risque de ne convaincre que les experts en économie environnementale, tandis que les gestionnaires de territoires et leurs partenaires locaux le mobiliseront peu pour orienter les décisions au niveau local. La confrontation avec les décideurs locaux montre que la valeur de l’espace naturel protégé n’est comprise qu’en rapport avec ce que la protection de l’espace apporte et/ou coûte au territoire sur lequel elle s’applique.

1. Voir Évaluation économique et institutionnelle du programme Natura 2000 en France, Credoc, 2008.