Site de Paulilles - Pyrénées-Orientales

L’avenir d’une mémoire. L’usine de dynamite renaturée

 
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Philippe Jacquet
Chef du pôle Aménagement et gestion des sites - CG 66

 

La mutation de Paulilles n’est pas achevée. Site protégé, renaturé, l’ancienne dynamiterie conserve pourtant la mémoire des siens.

Vingt ans d’abandon. Fermée en 1984, l’usine de dynamite n’est plus qu’une friche industrielle à la végétation luxuriante mais successivement squattée et pillée. Pour les anciens, l’attachement au lieu est néanmoins très fort : le travail était dur et dangereux, mais on « se serrait les coudes ». Et puis, depuis la fermeture, c’est ici la plus belle plage de sable fin de la côte rocheuse des Pyrénées-Orientales. L’été, malgré l’interdiction de pénétrer, Paulilles est le « bon plan », connu des initiés.
En 1998, le Conservatoire du littoral et le conseil général entament la réhabilitation du site. Une réhabilitation sensible et difficile. Le lieu est d’ailleurs en grande partie inondable et nombre de bâtiments sont en ruines, dangereuses et polluées. Mais le projet est ambitieux : il veut donner une nouvelle vie à l’endroit tout en conservant les traces de son histoire. En faire un espace de nature où se conjuguent avec harmonie bâti et non bâti afin de proposer un cheminement instinctif au visiteur.

La réhabilitation commence donc par des choix. D’autant qu’il est impossible de conserver l’ensemble du bâti. Concertation et travail pédagogique visent alors à faire comprendre aux habitants que, certes, il faut conserver la mémoire des lieux mais que le site bénéficie d’atouts lui permettant de développer un projet de tourisme durable et de qualité. Dans cette optique, le comité de pilotage composé des élus locaux et d’associations (naturalistes, résidents, historiens du site) se réunit plus de vingt fois. Il décide que seuls neuf bâtiments (dont la maison du directeur de l’usine, l’ancien château d’eau, une cheminée et la petite dynamiterie originelle du bord de mer) seront réhabilités. L’école et les logements ouvriers seront détruits.

Ce choix suscite de vifs regrets parmi certains anciens ouvriers et écoliers. Une des difficultés de la réhabilitation est tout entière traduite par ce constat. En effet, avec ce projet, la destination économique et sociale de Paulilles est en mutation et, avec elle, les valeurs sous-tendues par l’esprit des lieux.
Pendant les dix années nécessaires à la réalisation du projet, le Conservatoire et le conseil général vont donc œuvrer pour que les acteurs locaux s’approprient cette nouvelle image des lieux.
L’approche est double, il s’agit d’une part, de travailler sur la mémoire de l’endroit et, d’autre part, sur la valeur naturaliste de ce site classé Natura 2000, Znieff, Zico.
Aujourd’hui la maison du site s’offre d’ailleurs une double politique éditoriale en vendant tous les livres traitant soit de l’histoire du lieu, soit de son environnement.

Le travail sur la mémoire ouvrière va s’appuyer sur celui d’une historienne, commandité par le Conservatoire, mais également sur celui des associations locales. L’une d’elles, par exemple, édite un livre regroupant les témoignages des anciens1. Un particulier, dont la famille a travaillé à l’usine, a également édité un livre2.
Les recherches donnent lieu à des émissions de télévision mais aussi à la publication d’ouvrages tel un « Carnets du littoral » 3. Une plaque commémorant les ouvriers morts dans la dynamiterie est inaugurée.
Le projet de réhabilitation inclut un volet muséographique qui, lui aussi, est en grande partie porté par deux associations. Il est constitué d’une exposition intérieure et de plein air dédiée à la mémoire du site : exposition, borne informatique, maquettes, mise en scène de bacs d’acide transformés en mobilier d’extérieur, robinets ou bouchons de jarres d’acides incrustés dans des calades…
L’appropriation du projet se mesure également par des gestes individuels comme celui, significatif, de cette ancienne ouvrière remettant une cloche de l’usine afin qu’elle prenne place dans la muséographie.

Paulilles ouvre au public en juin 2008. Le livre d’or est majoritairement très enthousiaste. Des enquêtes de satisfaction le confirment. Mais un autre critère de réussite repose sur le peu de revendications portées par ceux qui s’étaient appropriés la friche industrielle.
Nombre d’anciens nourrissent des échanges enthousiastes avec le personnel d’accueil affirmant qu’ils se reconnaissent dans l’exposition sur la mémoire ouvrière. C’est ainsi qu’en septembre dernier, il a été possible d’organiser une première manifestation avec eux.

Si la réhabilitation fait une part belle à l’histoire, certains souhaiteraient plus encore. C’est notamment le cas d’une association qui demande, toujours, la création d’un musée Nobel.
Et pourquoi non ? Le refus s’explique par la mutation de l’esprit des lieux. Paulilles est devenu un espace naturel protégé dans lequel s’inscrit la mémoire de ceux qui y ont vécu, travaillé, qui ont construit l’économie, laissé leur sueur et leur sang. Mais l’esprit est aujourd’hui ouvert à la nature. L’histoire de la chimie industrielle française ou la célébration de mémoire d’un seul homme (fut-il Alfred Nobel) n’est pas en phase avec le « nouvel » esprit des lieux.
Le classement du site génère une autre difficulté à gérer : quelques anciens gardent la conviction que la place leur appartient et voudraient pouvoir y mener librement certaines activités en contradiction avec le règlement et les choix de gestion. Ainsi, en 2009, une association s’est créée, essentiellement constituée d’anciens élèves de l’école de l’usine. Ils visent à se réapproprier le site. La mise en place d’animations (récits) a été proposée aux membres de cette association (et à d’autres), mais sans suite à ce jour. Il n’a pas été possible pour l’instant de se mettre d’accord sur des actions communes.
Tout n’est donc pas rose. Mais l’aménagement n’est pas achevé et de nombreux projets restent encore à réaliser (seuls 17 des 32 ha du site ont été réhabilités). L’histoire de Paulilles n’est pas terminée.

1. Paulilles, la mémoire ouvrière, Amic, Les presses littéraires, 2005. • 2. L’arbre de vie. Mémoire de 1870 à 1970, Jean-Claude Xatart, Les presses littéraires, 2007. • 3. Carnets du littoral sur la Côte Vermeille, Serge Benbouche, Gallimard, 2003.