Contrôler le développement de la fougère aigle

 
avec le brise-fougère
Méthodes - Techniques

Tim Hannah
Précédemment enseignant en génie rural, Tim Hannah est actuellement directeur de la société Landbase, en Angleterre. Il conçoit des engins utilisés pour des travaux d’ingénierie écologique.
Hélène Michaud
Rivages de France
 

Existe-t-il un outil simple, efficace, économique et écologiquement sûr pour contrôler l’expansion de la fougère même en zone difficile ? Banc d’essai pour le brise-fougère inventé en Grande-Bretagne.

Il y a cent ans, la progression de la fougère aigle était limitée par la culture et le pâturage. Depuis l’abandon de ces pratiques, son recouvrement a plus que doublé en Europe : elle est présente sur de nombreux sites naturels protégés. Or, compte tenu de ses caractéristiques (fort ombrage du sol, multiplication végétative, présence de rhizomes la rendant très compétitive), elle occasionne une fermeture des paysages, accompagnée d’une diminution de la biodiversité végétale et animale. Son système de rhizomes (90 % de la plante) lui permet d’exercer une forte concurrence pour l’eau et les nutriments vis-à-vis des autres plantes. Une fois installée, elle est difficile à éliminer. À moins de détruire complètement les rhizomes, tâche presque impossible à réaliser, ceux-ci continuent à fournir de l’énergie pour la régénération. Quant aux spores, elles permettent à la plante de coloniser de nouveaux espaces à plus large échelle. Pour réagir, les gestionnaires ont plusieurs moyens à leur disposition. Bien que coûteuse et un peu délicate à mettre en œuvre, la pulvérisation de produits chimiques permet une diminution visible des fougères dès la première année. Mais cette méthode nécessite des traitements répétés. Il est aussi possible d’envisager la fauche régulière, plusieurs fois par an : la technique est coûteuse en temps.
Une méthode alternative
Le concept de rouleau de fougères a été introduit au Royaume-Uni voici sept ans par Landbase. En écrasant la plante, il agit indirectement sur les rhizomes et, du même coup, sur la capacité de régénération de la plante. De faible poids, le rouleau est tracté par un véhicule (ou un cheval) ; il passe sur la plante, la couche, et exerce une pression créant des contusions sur les tiges. Un « cliquètement » est d’ailleurs audible. La plante meurtrie essaie de se maintenir, elle perd de la sève par ses blessures, épuisant le stock d’énergie des rhizomes. Ces meurtrissures empêchent également la bonne absorption des nutriments essentiels, limitant la reconstitution des réserves. La croissance n’est pas perturbée comme elle le serait en coupant la tige et la plante n’est pas stimulée pour émettre de nouvelles pousses. À l’inverse du rouleau plein, le rouleau ouvert (composé de barres transversales) donne une meilleure pénétration. Il soulève la fougère, ce qui est particulièrement utile lors d’opérations ultérieures intervenant sur une tige plus courte. Après ce premier passage qui permet de coucher les fougères, d’autres interventions peuvent se faire à plus vive allure et ce jusqu’à 12 km/h maximum pour que l’outil reste efficace. Le brise-fougère a des rendements élevés (en comparaison d’une fauche classique). Ils peuvent être améliorés en attelant deux, voire trois, rouleaux de front. Autres avantages : la légèreté de l’outil épargne les plantes naissantes (dicotylédones et graminées) qui sont alors capables de concurrencer la fougère. Il cause aussi peu de dommages à la faune présente dans la strate herbacée. Sa maniabilité permet d’intervenir mécaniquement (à un coût raisonnable) sur des secteurs précédemment inaccessibles. Par ailleurs, les roues de transport de l’outil permettent de s’affranchir de l’utilisation d’une remorque et de se déplacer facilement d’un site à l’autre.
Action !
Juin ou juillet. Tel est le moment le plus efficace pour passer le brise-fougère : quand le maximum de réserves des rhizomes a été mobilisé. Cette période est repérable quand la troisième paire de frondes a entièrement émergé. Un traitement plus précoce casserait les tiges encore fragiles et entraînerait l’émergence de nouvelles frondes. Si une régénération des fougères s’observe pendant une période pluvieuse, un second passage est recommandé courant août.
La saison suivante, la plante affaiblie par
le traitement réagit en produisant un nombre accru de tiges, mais leur hauteur est diminuée de moitié par rapport à la saison de pousse précédente. Ceci épuise les rhizomes, réduit leur approvisionnement nutritionnel et permet à la flore et à la strate herbacée de devenir compétitives, d’accéder à la lumière, aux réserves d’eau et à la plus grande disponibilité des nutriments.
Les traitements ultérieurs permettent encore de diminuer la hauteur globale des tiges mais aussi le nombre de pieds. En général, trois saisons de traitements permettent à la strate herbacée de se réinstaller durablement.
Stratégies de gestion
Le brise-fougère peut être utilisé différemment suivant les sites et les objectifs de gestion. Cela semble être la méthode meilleur marché quand on vise une éradication de la fougère. Cependant, l’outil peut également être employé pour maintenir des zones ouvertes au sein d’un couvert dense de fougères et favoriser la biodiversité animale et végétale. On l’utilisera aussi, préalablement à la mise en place de pâturage, dans des zones pauvres et difficiles pour préparer le terrain. Par la suite, le pâturage favorisera, à son tour, la pousse d’herbacées et aura tendance à limiter la progression de fougères.
Dans des zones difficiles d’accès (présence d’affleurements rocheux, de fortes pentes), la fougère est difficilement maîtrisable mécaniquement, voire manuellement. Elle représente alors un foyer d’expansion continuel. Vu sa maniabilité et sa légèreté, l’outil peut être utilisé en périphérie de ce foyer, là où c’est encore praticable. Certains gestionnaires se sont déjà laissé séduire, d’autres attendent que l’outil ait fait ses preuves. Quoi qu’il en soit, la technique n’est pas si nouvelle puisqu’au siècle dernier, en Bretagne, un rouleau en granit faisait le même usage.