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Les dépendances vertes autoroutières : des zones refuges pour la biodiversité

 
Études - Recherches

Isabelle Le Viol
Muséum national d’histoire naturelle


En paysage d’agriculture intensive, les dépendances vertes des autoroutes servent d’habitat, de corridor à diverses espèces.

Le réseau autoroutier a connu un essor sans précédent. En France, il est passé de 170 km en 1960 à plus de 8 200 km aujourd’hui, tandis que 25 000 km sont prévus pour 2025. Ce développement se traduit par des impacts négatifs sur l’environnement : destruction d’habitats, fragmentation, pollution, dispersion d’espèces exotiques, destruction directe par collision, etc. Près de 20 % de la superficie des pays industrialisés serait ainsi affectée par le réseau routier.
Parallèlement, du fait de leur superficie et de leur structure linéaire, les dépendances vertes des autoroutes (25 000 hectares : plus de deux fois Paris) peuvent jouer un rôle d’habitat, de refuge et de corridor pour une certaine biodiversité, notamment dans des paysages à agriculture intensive. Il en est ainsi des bassins autoroutiers, créés tous les deux kilomètres pour collecter les eaux de ruissellement chargées en polluants. Ils constituent des sites de reproduction pour diverses espèces d’amphibiens, dont certaines listées en annexe II de la directive Habitats. Une récente étude1, réalisée sur plus de cent points d’eau d’Île-de-France, montre que la proportion d’occupation de ces dépendances vertes par les amphibiens est à peine moins élevée que celle des mares. Par ailleurs, la comparaison des communautés d’invertébrés aquatiques (odonates, gastéropodes, coléoptères, hétéroptères, identifiés à la famille) de vingt-cinq bassins et dix-huit mares situés le long d’une portion autoroutière de cinquante kilomètres met en évidence une richesse comparable. Les bassins abriteraient toutefois en plus grande abondance des invertébrés de petite taille et à cycle de vie plus court. L’explication reposant probablement sur une plus grande variabilité temporelle des conditions environnementales liées à la proximité de la chaussée (salage, polluants, oxydes d’azote…).
Mais plus que la destination technique des points d’eau, ce sont les conditions environnementales qui influent sur la composition et la diversité des communautés. Ainsi, la représentativité des boisements aux alentours de la zone humide a un impact positif. A contrario, les cultures, la teneur en azote et en phosphate des eaux, et surtout la présence de poissons ont un impact négatif. Comme les mares, ces bassins sont donc très différents les uns des autres.
De même, les bermes routières2, dont la largeur atteint régulièrement plus de trente mètres, jouent, elles aussi, un rôle d’habitat non négligeable dans certains paysages très anthropisés.
Une étude3 menée en 2008 en paysage d’agriculture intensive a ainsi montré que 65 % des espèces végétales échantillonnées dans les différents milieux représentés (champs, bois, bords de route) étaient présentes dans les bords de route. Et, plus remarquable encore : que 50 % des espèces étaient exclusivement trouvées au sein de ces dépendances vertes.
Cette étude démontre le rôle corridor des bermes routières qui connectent différents patchs d’habitats dans la matrice agricole. Ainsi, par exemple, les communautés végétales des bois connectés par ces bermes se ressemblent plus que celles des bois isolés. Leur réseau participerait ainsi à réguler les fluctuations de certaines populations, comme démontré chez certains micromammifères.
Naturellement, ces rôles d’habitat et de corridor méritent aujourd’hui une attention particulière dans le contexte de changements globaux affectant usage des sols, climat et donc biodiversité. Aussi apparaît-il judicieux de réfléchir à une gestion adaptée de ces dépendances de manière à optimiser leurs rôles les plus positifs et favoriser leur potentielle contribution aux trames verte et bleue actuellement en cours d’élaboration.

1. Dynamique et répartition de la diversité. L’exemple des dépendances vertes autoroutières, I. Le Viol, MNHN, 2009. • 2. Partie d’accotement qui assure la jonction avec le fossé ou le talus. • 3. Intérêts écologiques des bords de route en milieu agricole intensif, L. De Redon, MNHN, 2008.