L’envol des syrphes

 
Parmi les diptères, les syrphes deviennent des indicateurs privilégiés

Espaces naturels n°21 - janvier 2008

Études - Recherches

Emmanuel Castella
Université de Genève
Martin C.D. Speight
Trinity college Dublin
Jean-Pierre Sarthou
ENSAT Toulouse

Les syrphes les plus célèbres miment de façon remarquable des abeilles, guêpes ou bourdons, ce qui leur procure une protection vis-à-vis de certains prédateurs. D’autres, plus discrets, de teinte brun-noirâtre, ne mesurent que quelques millimètres. Tous montrent, chez le mâle, des phases de vol stationnaire, un comportement qui permet de les distinguer de la majorité des autres insectes volants. Ci-contre, un Merodon clavipes, espèce mimétique de bourdons dont la larve est associée à la végétation herbacée.

La famille des syrphes1 associe des caractéristiques biologiques et écologiques propres, mais aussi des éléments opérationnels qui en font un groupe remarquable dans l’évaluation écologique. En comparaison avec d’autres groupes
d’insectes, cette conjonction semble actuellement unique.
Ainsi, il est possible, à l’aide d’une famille d’insectes, de couvrir à la fois la quasi-totalité des habitats naturels, une grande variété de leurs niches écologiques et les trois niveaux trophiques principaux. En effet, à l’exception des eaux courantes ou des zones d’eau libre sans végétation, les espèces de syrphes peuplent l’ensemble des milieux naturels. Ainsi pour la France, environ 30 % des espèces sont strictement forestières, 20 % associées à divers types de formations ouvertes (pelouses, landes…) et 10 % à des habitats aquatiques. Les espèces restantes sont associées à plusieurs types d’habitats dans ces trois catégories. À l’intérieur de ces macrohabitats des adultes, les larves de syrphes sont associées de façon très spécifique à des microhabitats qui couvrent toutes les strates du paysage, des racines d’herbacées à la canopée des arbres, en passant par l’intérieur des tissus végétaux, le bois mort, les coulées de sève, les nids d’hyménoptères sociaux, les déjections de gros herbivores ou les sédiments subaquatiques. Là aussi, la spécificité larvaire permet une représentation équilibrée des modes
trophiques : environ 30 % des espèces sont microphages, 20 % herbivores et 30 % carnivores (le reste partageant plusieurs modes).
Des outils disponibles. Des arguments techniques se conjuguent également pour promouvoir une méthode standardisée d’évaluation écologique basée sur les syrphes. Tout d’abord, parce que ces insectes peuvent au stade adulte, être échantillonnés commodément par un piège d’interception passif : le piège Malaise2. Ce dispositif léger, de la taille d’une petite tente canadienne, peut fonctionner sans maintenance pendant deux à trois semaines et permettre un échantillonnage en continu sur toute la période de vol.
Par ailleurs, de nombreux pays européens possèdent une connaissance assez pointue de leur faune de syrphes tant au niveau national que régional. S’il n’existe pas encore d’ouvrage complet permettant la détermination de tous les adultes, le livre de Van Veen (2004) et les clés de détermination contenues dans la base de données Syrph-the-Net permettent de déterminer l’essentiel des espèces françaises.
Cette base de données informatique, mise
à jour annuellement, constitue un outil d’analyse et d’évaluation. Elle stocke les informations biologiques et écologiques disponibles pour 641 espèces européennes (dont plus de 90 % des espèces françaises). Les informations compilées proviennent de la littérature et d’un réseau d’une vingtaine d’experts. L’élément central de cette base de données est une matrice indiquant de façon numérique l’association entre les espèces et plus de 300 catégories d’habitats définies sur la base du système européen Corine Biotope.
D’autres types de données numérisées concernent les caractéristiques biologiques des espèces, les microhabitats des larves, la distribution géographique en Europe et l’estimation du statut de menace. Ces données sont complétées par un fascicule résumant, sous forme de texte, l’information sur chaque espèce.
Cet outil offre avant tout la possibilité d’évaluer le degré d’intégrité du peuplement d’un habitat (ou d’un site) par rapport à un état de référence. Il permet aussi de construire des scénarios prédictifs de changements de diversité selon des modifications d’habitats. L’encadré ci-contre et des exemples concrets illustrent cette méthode d’évaluation écologique basée sur la prédiction d’un état de référence du peuplement.
Pour la France, Syrfid3 compile les données d’occurrence publiées au niveau des départements, ainsi que leurs sources bibliographiques. Il permet de connaître les listes d’espèces potentielles à un niveau régional et d’identifier les déficits dans la couverture du territoire.
Les syrphes et Syrph-the-Net constituent un ensemble intégré et standardisé offert au gestionnaire pour évaluer l’intégrité des sites du point de vue de leur diversité biologique. C’est également un outil dynamique, porté par une communauté de spécialistes actifs. Il devrait inciter les entomologistes à rendre plus opérationnelles les connaissances disponibles pour d’autres groupes d’invertébrés afin d’élaborer une panoplie d’approches complémentaires dans l’évaluation et le suivi de l’état de santé des écosystèmes.

1. Les syrphes adultes
(500 espèces en France) ont un mode d’alimentation très homogène : ils se nourrissent de nectar ou de pollen floral, exceptionnellement de coulées de sève. Cette exigence alimentaire explique leur rôle important de pollinisateurs. En revanche, les larves de syrphes sont extrêmement diversifiées du point de vue de leur alimentation et donc de leur rôle dans la nature. On peut distinguer trois groupes : des herbivores qui consomment les tissus vivants non ligneux des végétaux, des carnivores prédatrices qui se nourrissent d’autres insectes vivants et des microphages (ou saprophages) qui consomment de la matière organique plus ou moins décomposée. Dans ce dernier groupe, environ 80 espèces de la faune française possèdent des larves saproxyliques qui dépendent du bois mort sous différentes formes. De nombreuses espèces se nourrissent de pucerons et sont de précieux auxiliaires des cultures.
2. Du nom de son inventeur.
3. http://syrfid.ensat.fr/

En savoir plus
Guide des mouches et moustiques. Les compagnons du naturaliste, J. et H. Haupt, Delachaux et Niestlé, 2000, 352 p.
« Les diptères Syrphidae, peuple de tous les espaces »
J.-P. Sarthou et M.C.D. Speight, Insectes n° 137, 2005, p. 3-8.
- La revue européenne de syrphidologie : Volucella
http://www.naturkundemuseum-bw.de/stuttgart/volucella/
Base de données Syrph-the-Net et ses applications :
- À partir du 4e trimestre 2007, sur le site http://leba.unige.ch/syrphidae.html
- Les insectes indicateurs, P. Goeldlin, R. Delarze, E. Castella,
M.C.D. Speight, 2003. Mémoire de la société vaudoise des sciences naturelles n° 20, p. 159-267. « Projet-pilote de gestion écologique des forêts de Montricher (Jura vaudois, Suisse).
- Évaluation écologique d’écosystèmes forestiers de réserves naturelles de Haute-Savoie à l’aide des diptères syrphidés, V. Sarthou, J.-P. Sarthou, 2007. Rapport au conservatoire des réserves naturelles de Haute-Savoie, 52 p.
- Diagnostic de pelouses et landes subalpines, à l’aide des diptères Syrphidae, M.C.D. Speight, E. Castella, 2005. Rapport au conservatoire des réserves naturelles de Haute-Savoie, 57 p.