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Évaluer la biodiversité à l'échelle d'un site

 

Espaces naturels n°60 - octobre 2017

Aménagement - Gouvernance

Philippe Gourdain,
Olivier Delzons,
Océane Roquinarc’h,

UMS 2006 PatriNat, MNHN, philippe.gourdain@mnhn.fr

Pourquoi utiliser un outil standardisé pour évaluer la biodiversité sur un site ? Le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) a développé l'Indicateur de qualité écologique (IQE) pour favoriser des diagnostics comparables, que ce soit sur des espaces protégés ou non. Après huit ans d'utilisation, la démarche a aussi montré son intérêt dans la hiérarchisation des enjeux de biodiversité sur de nombreux sites.

Ce site des Pyrénées centrales a fait l'objet de l'application d'un IPE en 2013. Les résultats ont constitué une base d'échanges entre le gestionnaire du site et plusieurs acteurs du territoire en vue d'assurer une gestion conservatoire de la biodiversité.

Dans un contexte où les pressions sur la biodiversité s’intensifient, le Muséum national d’histoire naturelle s’est engagé depuis plusieurs années auprès d’acteurs et gestionnaires du territoire, afin de les accompagner dans l’identification et la hiérarchisation des enjeux de biodiversité. L’IQE, en évaluant la biodiversité et la fonctionnalité écologique à l'échelle d'un site, vise trois grands objectifs :

établir une démarche standardisée de diagnostic de la biodiversité ;
orienter les mesures de gestion et d’aménagement ;
évaluer l’efficacité des mesures de gestion et d’aménagement mises en oeuvre en faveur de la biodiversité.

RÉPONDRE À TROIS GRANDES INTERROGATIONS

Les critères évalués par l’IQE permettent de répondre à trois grandes interrogations : présente-t-il une grande diversité biologique ? Le site abrite-t-il des espèces et des habitats naturels patrimoniaux ? Le site est-il fonctionnel d’un point de vue écologique et s’inscrit-il dans les réseaux écologiques ? Les résultats se traduisent sous la forme d’un diagramme radar synthétique, assorti d’un rapport d’expertise détaillé1. La synthèse en diagramme radar (voir ci-dessous) permet de favoriser le dialogue entre différents acteurs, y compris des non-spécialistes de la biodiversité en identifiant facilement les points forts et les points d'amélioration possibles.

L’Indicateur de potentialité écologique (IPE) est une variante de l’IQE s’inscrivant dans une logique de pré-diagnostic écologique. Plus simple à mettre en place, il permet d'initier le travail d'évaluation en commençant par faire la synthèse des données disponibles sur le site d’étude et dans son périmètre proche (ZNIEFF, sites Natura 2000, etc.). Sur le site des Pyrénées (photo ci-dessus), l’IPE a vraiment permis de nourrir une réflexion globale sur un site qui faisait, par ailleurs, l’objet d’études très spécifiques sur des espèces patrimoniales comme le Desman des Pyrénées.

DES SITES NATURELS AUSSI BIEN QU'ARTIFICIELS

L’IQE a notamment été appliqué avec succès comme outil de suivi sur des sites industriels (installations de stockage de déchets, unités de production énergétique), d’extraction de matériaux (carrières et sablières), sur un parc urbain (le Jardin des plantes à Paris), en zone agricole, sur des espaces dédiés aux loisirs (golfs et autres équipements sportifs) et sur des espaces naturels comme, par exemple, la réserve de Donzere-Mondragon gérée par l’ONCFS. (cf. Faune Sauvage n°312 – 2016). De fait, les contextes peuvent être très naturels ou au contraire nettement artificialisés. Il a également été utilisé dans le cadre du suivi de mesures de gestion écologique, en comparant plusieurs sites proches au sein d’une réserve naturelle : la réserve naturelle de la Petite Camargue alsacienne2.

Déployé à large échelle sur près de 200 sites, l’IPE a ainsi contribué à un diagnostic standardisé de plusieurs milliers d’hectares de foncier. Il doit participer à la hiérarchisation des enjeux et faciliter les décisions (en précisant les zones d’évitement prioritaire, au sens de la séquence éviter-réduire- compenser, ou nécessitant des actions de gestion particulières).

Des formations sont dispensées annuellement au MNHN pour s’assurer de la bonne compréhension de la méthode et garantir son utilisation dans un contexte adéquat. 80 opérateurs de 41 structures ont déjà ainsi été formés, dont 50% de bureaux d’études, l’autre moitié étant représentée essentiellement par des associations naturalistes, Conservatoires d’espaces naturels et Centres permanents d’initiatives pour l’environnement.

Depuis 2015, les principaux acteurs et utilisateurs de l’IQE sont réunis en une communauté de pratiques qui permet le partage d'expériences.

L'IQE PARMI D'AUTRES INDICATEURS

Malgré sa relative polyvalence, l'IQE ne peut pas répondre à toutes les situations. Sur des sites très naturels, l’indicateur tend à saturer et être ainsi peu discriminant pour assurer un suivi temporel. Il permet alors seulement de dresser un état global à un instant T. Logiquement, l’IQE, qui donne une vision globale de la biodiversité, ne permet pas de mener des suivis très fins et très spécifiques comme des suivis d’une population d’espèce patrimoniale.

Dans ce cas, il est nécessaire de coupler la connaissance globale du site avec un ou des suivis spécifiques. L'un des avantages de l'IQE, est de constituer une base de données homogène qui alimente l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN). Cette masse de données permet de contribuer à la recherche, notamment par le travail d'une biostatisticienne. Le caractère englobant de l’IQE ne lui permet pas d’appréhender de façon très fine chaque paramètre ou chaque groupe d’espèces visé (sans quoi il deviendrait inutilisable). Mais à l’inverse, des indicateurs très fins et très spécifiques ne permettent pas de rendre compte de l’état global de la biodiversité d’un site. Les différents indicateurs de suivi ou d’état sont donc plus souvent complémentaires que concurrentiels.

 

Exemple de diagramme radar issu de l’analyse IQE. Un guide méthodologique en explique la construction3. « Artificialisation » reflète le taux de recouvrement par des éléments artificiels (routes, bâtis…). « Réseaux écologiques » repose sur une estimation de l’opérateur concernant la place du site dans les réseaux écologiques et la présence de barrières physiques dans le site. Ici, la problématique espèces exotiques envahissantes est faible.

1) Pour voir un exemple de rapport d’expertise IQE, lire celui de l'IQE du golf national de Saint-Quentinen-Yvelines : http://bit.ly/2vM0Q7y (spn.mnhn.fr)
(2) Lire le rapport : www.graie.org/ISRivers/docs/papers/2B33-49443REY.pdf
(3) Guide méthodologique : iqe-spn.mnhn.fr/guide-methodologique-iqe-et-ipe