Les habitants dans le sillon des artistes
Espaces naturels n°21 - janvier 2008
Delphine Panossian
Chargée d’études développement culturel Parc naturel régional Caps et marais d’Opale
Le langage scientifique peine parfois à faire entendre l’importance de la biodiversité auprès de nos contemporains ? Qu’à cela ne tienne, utilisons le langage artistique, celui de l’émotion. Ajoutons-y quelques doigts d’originalité en faisant collaborer la population locale à l’élaboration d’une œuvre en rapport avec son histoire. On devrait bien ainsi parvenir à transmettre un message de sensibilisation à l’environnement aux habitants d’un territoire.
Pari ? C’est en tout cas celui tenu par le Parc naturel régional des Caps et marais d’Opale qui, depuis deux ans maintenant, réunit un artiste (ou plusieurs), une commune et un patrimoine pour conduire l’opération « Dans le sillon des artistes ». Des artistes… ou plutôt des médiateurs puisqu’ils autorisent l’engagement de la population dans un processus de création. En devenant acteurs, les habitants intègrent les messages qu’ils interprètent ; messages dont le contenu est
« labellisé parc ».
Dans cette opération, l’artiste fait figure de clé de voûte de la réussite, c’est pourquoi le parc le choisit soigneusement. Soucieux de développement local, il se rapproche en priorité d’artistes locaux qui manifestent de l’intérêt pour les parcs. C’est ainsi par exemple, qu’une sélection s’est portée sur une compagnie musicale locale1 qui voulait aboutir à l’écriture d’un concert sur le bocage autorisant une découverte contemplative d’une de ses composantes : la mare2.
Une fois le créateur choisi, il faut le former afin qu’il s’intègre à la population et qu’il s’approprie le sujet et ses messages associés. Le parc y veille. Lors des premières rencontres, il implique ses techniciens, les élus concernés, les personnes ressources, etc. Ainsi, pour parler des coteaux calcaires3 (autre thème du cru 2007), les artistes-conteurs, se sont appuyés sur une enquête ethno-sociologique4 menée par le parc et traitant du rôle du berger dans le maintien de ces milieux.
L’artiste est ensuite seul en piste. Il recueille les témoignages, prend contact, implique la population, conseille les habitants dans leur jeu d’acteurs ou d’auditeurs, etc. Il crée l’alchimie et la maintient jusqu’à la restitution auprès du village…
Et quand ça marche, on voit comment les gens se réapproprient des espaces dont la fonction a été désapprise, oubliée ou qui souffrent d’une image peu flatteuse. Lors de ces rencontres, l’émotion est forte quand certains font resurgir leurs souvenirs et se rappellent… comment c’était avant, ou comment ça pourrait être si…
Le « sillon des artistes » ouvre aussi le débat. Le cadre est ludique et convivial, les participants échangent sans contrainte. Le parc en profite pour évaluer la perception de ses actions auprès des habitants !
Le risque, car il y a risque, est que ces artistes se laissent emporter dans le jeu de leur création. Pris par la dynamique de l’univers qu’ils inventent avec les habitants, leurs souvenirs et leur imaginaire, ils peuvent faire de l’apport des participants (rarement experts en botanique !) la source principale de leur création. Ainsi, dans le cas des coteaux, la préservation est certes traitée car les habitants sont conscients de l’intérêt de leurs monts, mais les apports personnels se rapportent bien plus à l’histoire et à la mémoire qu’à la richesse écologique des espaces. Tout ceci a été contrebalancé par le fait qu’en participant les habitants questionnent et s’expriment sur le devenir des milieux naturels.
Après deux ans d’une expérience qu’il juge positive, le parc pose la question de la pérennité. L’expérience du « sillon » révèle une sensibilisation qui, pour fonctionner, doit être pensée dans la durée et doit être complétée par d’autres formes d’implication des populations (chantiers nature, aide au retour du pâturage sur les coteaux, programme de restauration des mares…) et d’éveil, voire de formation des artistes sur les enjeux locaux de protection des patrimoines.
1. La compagnie du Petit Orphéon.
2. Un programme d’actions en faveur des mares est mené par le parc depuis 2000. Il soutient des agriculteurs, des propriétaires forestiers, des communes.
3. Un plan d’actions 2005-2010 a pour objectif principal de promouvoir le retour au pâturage extensif, notamment avec la race locale du mouton boulonnais.
4. Histoire des coteaux calcaires du pays de Licques à travers l’exploitation pastorale, Espaces naturels régionaux, L. Carre,
PNR des Caps et marais d’Opale, 72 p.