La Hulotte, plus qu'une chouette revue
Espaces naturels n°65 - janvier 2019
Le « journal le plus lu dans les terriers » est aussi un outil pédagogique et de sensibilisation hors pair. À l’heure du tout numérique, avec 140 000 abonnés, il poursuit son petit bonhomme de chemin, devenant peu à peu une véritable encyclopédie vivante.
Apparu en 1972, La Hulotte, petit magazine inclassable, vient de sortir son numéro 106, dont le thème est « Le lierre ». Dotée d’une quarantaine de pages au format A5, cette revue naturaliste à parution semestrielle est le fruit du travail d’une vie, celle de Pierre Déom, ancien instituteur passionné de nature, qui s’est donné pour vocation « d’expliquer aux enfants la richesse extraordinaire de la nature ». La revue est née parallèlement aux clubs Connaître et protéger la nature (CPN), à l’initiative de la Société de protection de la nature des Ardennes. Ces années 1970, qui voyaient la fin des 30 glorieuses, ont été une période de recul terrible de la biodiversité. Pierre Déom témoigne : « Dans les Ardennes, on assistait à des programmes de remembrement démentiels, curage des rivières, assèchement des marais, etc. On voyait les milieux disparaître. Nous avons souhaité expliquer aux enfants qu’ils avaient une richesse extraordinaire, qu’il fallait la protéger. On a donc cherché à créer des clubs, et La Hulotte devait faire le lien entre ces clubs ». Mais, si le nombre d’abonnés de la revue a très vite augmenté, très peu de clubs ont été créés. Faute de textes émanant des clubs, Pierre Déom a dû, peu à peu, produire des contenus pour la revue… D’instituteur, il est devenu journaliste. Les CPN ont continué leur chemin séparément de la revue, et sont devenus une fédération indépendante.
LOIN DES EFFETS DE MODE
Plusieurs générations de passionnés lisent La Hulotte. Tous en parlent avec un attachement particulier. C’est le ton employé, disent certains. L’humour parfois, le sérieux, toujours. « Rigueur » est le maître mot pour Pierre Déom. « Je fais la revue que j’aurais aimé lire gamin. D’une façon amusante, mais très sérieuse. Chaque numéro est le fruit d’un très gros travail de recherche et d’analyse documentaire que nous réalisons avec ma documentaliste. Lorsque nous ne trouvons pas suffisamment d’informations au cours de cette recherche, nous contactons les scientifiques concernés, mais ça n’est pas systématique. Je passe aussi beaucoup de temps sur les textes. Il faut qu’ils soient imagés, amusants et irréprochables sur le plan scientifique. C’est un chemin de crête difficile à tenir. Il faut trouver la bonne formulation, sans tomber dans les approximations ou les caricatures…
Le dessin permet beaucoup de choses que la photographie n’offre pas.
Traiter les bêtes comme êtres vivants sensibles, sans tomber dans l’anthropomorphisme par exemple. » Quand la plupart des revues naturalistes misent sur la photo couleur, La Hulotte est en noir et blanc et ne comporte pour illustration que des dessins, réalisés par Pierre Déom. Autodidacte, ce dernier s’est mis à dessiner pour la revue pour des raisons techniques et financières. Puis l’illustration au trait s’est imposée. « Le dessin permet beaucoup de choses que la photographie n’offre pas. Pour un dessin, je vais prendre quatre, cinq voire dix clichés, je vais chercher une attitude sur une photo, une expression sur une autre, etc. » déclare Pierre Déom. Rigueur scientifique, originalité, mais aussi prix… Avec un abonnement à 32 euros pour six numéros, les gens s’abonnent volontiers, et la collectionnent. Un passionné de nature fidèle de la revue en parle ainsi comme d’une réelle encyclopédie... La périodicité parfois aléatoire de la revue ? « Un numéro arrive quand il arrive, c’est un cadeau »…
LA HULOTTE 2.0 ?
Internet n’a pas tué La Hulotte, bien au contraire. Son auteur y trouve une fantastique source d’informations : « On a accès à des publications scientifiques fiables et solides. » Pour autant, le système d’information et de classement est resté artisanal, Pierre Déom évoquant ses cahiers numérotés qui permettent de retrouver et vérifier une information à tout moment de la chaîne de fabrication. Un système qui « marche à merveille ». Mais quid de La Hulotte après Pierre Déom ? L’ancien instituteur affirme n’y avoir jamais pensé. Une chose est sûre : « Je prépare le prochain numéro ».
« La Hulotte sur Facebook ? » « J’étais sceptique, confesse l’ancien instituteur, mais ça offre des choses formidables. J’ai travaillé presque vingt ans sur les petits mystères des grands bois, illustrant ce travail de dessins et photos mis en ligne sur le site de la revue. Les internautes se sont pris au jeu, ils se sont mis à chercher partout des arbres étranges, en forêt, en famille. Nous avons reçu une avalanche de photos, j’ai une collection fabuleuse. » Avec 37 000 followers, la petite chouette a encore de beaux jours devant elle.
LES LECTEURS DE LA REVUE JOUENT PLEINEMENT LE JEU DU RESEAU...
Les lecteurs de la revue jouent pleinement le jeu du réseau... Ci-dessous, quelques-unes des près de 2 000 photographies qui ont « submergé la boîte aux lettres de tante Hulotte » suite à la publication du numéro 88, « Petits mystères des grands bois ». La revue incitait les lecteurs à « transformer la plus morne des promenades en une expédition follement excitante », les invitant à se lancer à la recherche de ces extraordinaires habitants des forêts. Les clichés sont sur le site de La Hulotte. Merci aux auteurs pour leur autorisation de publier.
© Benoît Blondel |
© P. Durand |
© Jean-Philippe Grezes |
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