Maison de site, levier d’émotion

 
Pour « interpréter » les espaces naturels

Espaces naturels n°21 - janvier 2008

Accueil - Fréquentation

René Rivard
Cultura bureau d’études

 

La maison de site est devenue un des principaux équipements de la rencontre entre un visiteur et un territoire. On l’appelle « centre d’interprétation » dans plusieurs pays.

Mais qu’est-ce qu’une maison de site ? Un bâtiment dont l’objet est de présenter un espace naturel ou culturel ; un équipement qui dispose de fonctions d’accueil et de services ; un lieu, avant tout, d’initiation au territoire ou au site, un endroit utile et même nécessaire à son interprétation.
Reste alors à savoir ce qu’est l’interprétation. De quoi s’agit-il ? La réponse doit lever quelques ambiguïtés. En effet, c’est par cet emprunt à la langue française que Freeman Tilden baptise, au début des années 50, les nouvelles approches d’accueil, de communication et d’éducation qui s’expérimentent alors dans les parcs nationaux des États-Unis. Peu à peu, le mot « interprétation » fait son chemin dans le domaine de la mise en valeur du patrimoine, tant naturel que culturel, et il est aujourd’hui abondamment utilisé dans les pays anglophones.
Interpréter signifie autre chose qu’enseigner de manière académique en vue d’accroître les connaissances. L’interprétation cherche à provoquer émotion, réflexion et ouverture sur le monde. Mais l’utilisation française du mot interprétation apporte une nuance. On entend dire de quelqu’un qu’il « interprète » bien une chanson de Brel, une sonate de Beethoven, ou encore les danses balinaises. Cette utilisation du mot interprétation indique que l’interprète sait donner des dimensions personnelles à l’exécution d’une œuvre. Il la présente sous une forme nouvelle, il sait la rendre et la communiquer de façon intéressante. Résultat : le public l’apprécie mieux et la fait sienne, il se souviendra longtemps du concert.
Cette approche de l’interprétation artistique n’est guère différente de l’interprétation de la nature et des patrimoines culturels.
Définition. Une première définition de l’interprétation pourrait alors réunir les éléments suivants : présentation personnalisée, novatrice et intéressante des « œuvres » naturelles et culturelles de la planète Terre à des visiteurs. C’est une « méthode » très structurée et élaborée de sensibilisation. Les moyens mis en œuvre font d’abord appel à l’appréhension : ils mènent à une forme vécue et descriptive de la connaissance plutôt qu’à une forme rigoureusement rationnelle1.
L’interprétation devrait être le pinceau laser inondant de lumière la complexité du réel, éclairant le passé, le présent, explorant le futur ; balayant les préjugés, les malentendus, les erreurs… voire la peur de la nature et de l’inconnu.
Une bonne interprétation éclaire l’infiniment complexe avec les yeux de tous les savoir, des yeux systémiques appuyés sur l’expérience et la mémoire des visiteurs eux-mêmes.
Bref, l’interprétation est une nouvelle forme littéraire – orale, écrite, audiovisuelle et multimédiatique –,une manière de conte moderne, pour faire comprendre, pour apprivoiser et faire apprécier, pour faire réfléchir…
Boîte à outils. Au fil du temps, l’interprétation a suscité de nouvelles pratiques qui aident le public dans sa démarche d’apprentissage. Elles se caractérisent par le fait de mettre en avant des sujets (plutôt que des objets et des collections) et de partir du vécu du visiteur (l’un des principes fondateurs de l’interprétation), de provoquer son intérêt, de retenir son attention. Elles mettent au premier plan son plaisir, ses intérêts, ses émotions et même son confort. Il s’agit de générer une expérience de visite réussie.
Aussi, dans la boîte à outils des espaces naturels ou culturels, la maison de site est devenue un des principaux équipements de cette rencontre visiteur-territoire. Qu’on l’appelle ou non « centre d’interprétation », il s’agit d’un lieu, habituellement un bâtiment, où sont rassemblés : expositions, dioramas, projections audiovisuelles, animations, produits informatiques, médias interactifs, démonstrations, publications et, essentiel, un accueil personnalisé…
Jean-Pierre Bringer2 la définissait en 1989 comme une « structure relativement lourde, mettant en œuvre et à la disposition des visiteurs divers moyens d’interprétation, mais ayant aussi une fonction stratégique particulière ; le centre d’interprétation est composé d’un ou plusieurs bâtiments, souvent complétés dans leurs abords par des aménagements de plein air et des services : stationnement, pique-nique, jeux pour enfants… ».
Il y a évidemment plusieurs types de maisons de site ou centres d’interprétation, allant de la simple maison de la nature au musée de site historique ou archéologique, passant du centre d’interprétation conventionnel à des dispositifs plus sophistiqués.
La maison de site est habituellement placée dans un endroit stratégique pour servir à la découverte d’un territoire, et pour la régulation de sa fréquentation.
Conditions. La réussite cependant n’est pas acquise d’office et des conditions précises doivent être réunies. En effet, tout projet de maison de site doit être amorcé de manière rationnelle par :
• une programmation, créative et rigoureuse, de la globalité du site et de la place qu’occupera la maison dans son système de présentation,
• une programmation thématique, fonctionnelle et architecturale de haut niveau de l’équipement,
• le développement de contenus d’interprétation, simples et évocateurs, présentant ce qu’il faut pour que le visiteur comprenne et apprécie, et pas nécessairement qu’il sache tout,
• la préfiguration, dès l’amont, des expositions, des médias et autres moyens de présentation prévus dans les salles de la maison,
• la programmation avancée d’activités, de prestations et d’événements pour les diverses clientèles visées, susceptibles d’intéresser les visiteurs, de les fidéliser…
Ainsi, les dirigeants de l’espace naturel ou du site culturel devront :
• prendre le temps qu’il faut pour bien cerner et définir le projet de « maison de site » sous tous ses aspects de contenu-contenant, sous tous ses aspects fonctionnels et financiers,
• confier sa programmation à des programmistes expérimentés et créatifs, compétents en interprétation, capables d’en établir la faisabilité, et pouvant par la suite bien assister la maîtrise d’ouvrage du projet,
• s’assurer d’une maîtrise d’œuvre de haut niveau pour l’architecture, la construction et l’aménagement du bâtiment et ses abords,
• trouver une excellente équipe de scénarisation, de réalisation des expositions et de suivi des médias ; elle-même assistée d’un personnel technique qui a fait ses preuves,
• choisir une excellente maîtrise d’œuvre en scénographie et muséographie, capable de mettre en forme le contenu de manière innovante,
• trouver les fonds adéquats pour une
réalisation optimale de l’équipement,
• recruter la « perle rare » qui saura non seulement gérer et faire fonctionner la maison, mais aussi et surtout la dynamiser et exploiter au maximum tous ses potentiels et ceux de l’espace naturel dont elle sera le phare. Et puis, relire Saint-Ex. qui explique à merveille ce qu’est l’interprétation
(cf. encart)…

1. Office de la langue française du Québec, L’interprétation du patrimoine, Néologie en marche, n° 38-39.
2. « Concept et démarche de l’interprétation », Jean-Pierre Bringer, Cahiers techniques de l’Aten, 1988.
3. Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry, Gallimard, 1939, réédition Folio, 1990, p.15.