>>> Réserve naturelle de Mannevilles

Chasseurs et gestionnaires collaborent

 

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Gestion patrimoniale

Salomon Brodier
Biologiste écologue
Thierry Lecomte
PNR des Boucles de la Seine normande
 

Depuis les années 70, le marais Vernier a subi une mutation agricole profonde, affectant ses différentes zones de façon contrastée. Au nord, les terres les plus riches font l’objet d’une intensification agricole. Au sud, la déprise agricole touche les terrains plus humides qui s’enfrichent et offrent ainsi de nouveaux refuges pour les sangliers.
En vingt ans, leur population a vu son effectif fortement augmenter (estimation à 1 pour 1,5 ha en 1996 sur la Réserve de Mannevilles et la Réserve de chasse de la faune sauvage). Or, lorsqu’ils sont en surnombre, les sangliers affectent de façon négative l’équilibre écologique du marais (destruction des couvées d’oiseaux nicheurs et des bulbes d’orchidées) mais également diverses activités humaines (dégâts sur les cultures, problèmes de sécurité civile sur les routes, prédation de veaux nouveaux-nés dans le marais…).
De ce constat est née l’idée d’une régulation de la population de sangliers dans la Réserve naturelle située dans le marais de Mannevilles. Le principal problème provenait du fait que cette Réserve, gérée par le Parc des Boucles de la Seine normande, est quasiment imbriquée dans une réserve de chasse et de faune sauvage dont la Fédération des chasseurs de l’Eure est gestionnaire. Il était donc nécessaire de réaliser des opérations de gestion coordonnées avec les acteurs locaux et de les soumettre à l’accord du préfet, de la DDAF et du lieutenant de louveterie1. Chaque année, deux équipes de chasseurs sont recrutées parmi les acteurs locaux. Le projet prévoit d’organiser des battues dans le respect de critères éthiques, d’assurer une base scientifique à l’opération et enfin, d’impliquer l’ensemble des acteurs du territoire concerné.
Recrutement
La coordination avec la Fédération des chasseurs a permis de mener conjointement les deux battues administratives : celle menée sur la Réserve de chasse sous l’égide de la Fédération de chasse de l’Eure et celle menée sur la Réserve naturelle sous l’égide du Parc. Les participants sont essentiellement des acteurs locaux : propriétaires riverains ayant subi des dégâts non indemnisables, élus du secteur et artisans activement engagés dans la vie de la Réserve naturelle et du Parc. Leur nombre est limité à vingt pour des raisons de sécurité et les titulaires du brevet grand gibier sont particulièrement recherchés.
Dans un souci d’information, la presse locale est invitée à chaque battue. Par ailleurs, un examen scientifique des animaux tués est réalisé (poids, âge, sexe, présence d’embryons, contenu stomacal, présence de parasites). Cet examen permet à la fois de dépister d’éventuels problèmes sanitaires et d’apporter une plus-value à la battue.
Les chasseurs sont invités à respecter certains critères d’éthique en ce qui concerne l’abattage des animaux, notamment à ne l’entreprendre qu’en présence d’un chien de sang (achèvement des animaux blessés).
Par ailleurs, ils doivent signaler les espèces qu’ils identifient ; à la fois pour affiner les données sur la faune et pour les sensibiliser à la gestion d’un milieu naturel.
Les sangliers tués sont rassemblés et partagés entre les participants et les personnes du voisinage. Cela permet notamment de temporiser les aigreurs liées à des situations de dégâts non indemnisables. Aucun sanglier n’est vendu pour des raisons d’image et d’éthique. L’accent est mis avant tout sur la convivialité.
Cette opération implique également les riverains, les élus locaux et d’autres chasseurs. Ce partenariat permet à la fois de coordonner les battues, de ménager les susceptibilités et donner à l’opération une assise sociale plus sûre.
D’ailleurs, chaque battue est précédée d’un rassemblement des chasseurs participants. À cette occasion, les porte-parole de la Fédération des chasseurs et du Parc expliquent leur but et les règles de sécurité.
Bilan
Ces opérations ont permis de contenir les populations de sangliers. L’équilibre de l’écosystème est amélioré. Mais ce bilan comporte également des aspects nuancés puisque les conditions écologiques favorisant l’expansion des sangliers restent les mêmes : la population est jeune et en parfait état sanitaire et physiologique. Il est donc nécessaire de reconduire tous les ans ces battues.
Sur le plan économique, cette limitation contribue à la diminution des versements d’indemnités de dégâts dûs aux sangliers.
Autre point positif : le bilan social. Le progrès est radical. En montrant sa capacité d’animation et d’action sur le terrain, le Parc est désormais reconnu par les chasseurs pour assurer des gestions cynégétiques et, d’une manière plus générale pour assurer des opérations de gestion des espaces naturels. Dans ce contexte, le dialogue et la compréhension entre les chasseurs et les institutions de protection de l’environnement sont facilités.
L’animation autour du thème de la chasse par un chargé de mission du Parc a permis de sensibiliser les chasseurs sur l’intérêt d’une formation technique et éthique plus poussée, notamment par le biais du brevet grand gibier. Cette sensibilisation s’est traduite par leur demande, à la Fédération de chasse, d’organiser une session de formation.
Tous les ans, un compte rendu comporte l’ensemble des données techniques de l’opération, le contexte, ainsi que la liste des chasseurs. Il est adressé aux autorités compétentes, aux élus locaux, à l’ensemble des participants et au comité consultatif de la réserve.
Les leçons
Trois points importants sont à retenir :
- la gestion de l’interface administrative est assez lourde. Il est nécessaire d’obtenir l’arrêté préfectoral suffisamment tôt,
- les premières battues ont été très mal perçues. L’opération a fait l’objet de nombreux articles, tracts et courriers très critiques, de coups de téléphone anonymes… Le Parc n’était pas reconnu comme interlocuteur valable pour s’occuper des problèmes cynégétiques. Les compliments ont désormais remplacé les critiques,
- la reconduction annuelle de l’opération demande un investissement important en temps et en effort de formation de l’animateur de l’opération.
Les conditions de la réussite reposent sur la qualité des relations humaines, sur la communication et aussi sur la solidité technique, juridique et psychologique du projet. Il convient de rester ferme sur l’objectif final, sachant qu’une faute dans le parcours peut mettre à mal un pan entier de la politique d’aménagement du Parc, en particulier dans le milieu sensible de la chasse.