Sur les chemins

 
comment gérer les conflits d’usage ?

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Aménagement - Gouvernance

Charlotte Michel
Ingénieure conseil

 

Les chemins réunissent les conditions favorables à la naissance de conflits : une diversité d’usagers et une définition ambiguë de leur libre accès. Armée d’une méthodologie, le gestionnaire pourra analyser le conflit pour que les solutions soient acceptables par tous.

A pied, à cheval, à vélo, nombre de randonneurs circulent sur les chemins. Mais est-ce bien du goût des agriculteurs, chasseurs, pêcheurs, résidents ?…
Immanquablement, de gênes en mécontentements, le risque est grand de voir survenir des conflits d’usage.
Certes, ce type de conflits touche tous les milieux naturels ; cependant, il se focalise très souvent sur les chemins car ceux-ci constituent un vecteur d’accès à la nature ainsi qu’aux sites de loisirs. Une des difficultés réside dans le fait que les chemins sont souvent perçus comme libre d’accès alors que seuls les voies publiques et chemins ruraux sont ouverts à tous. Mais, ces distinctions foncières ne se lisant ni sur les cartes, ni sur le terrain, chaque usager a le sentiment d’être dans son droit. Dès lors, comment faire pour que tous ces usages cohabitent sans porter atteinte à la qualité des espaces et sans pénaliser les propriétaires, gestionnaires et usagers locaux ?
Intervenir sans aggraver
la situation
Les situations conflictuelles sur les chemins sont souvent complexes. Elles mêlent des intérêts variés, éveillent des passions, révèlent des règlements de comptes locaux, concernent des lieux où le foncier est am-
bigu et sujet de litige… Souvent, la solution foncière ou juridique à laquelle on se réfère en premier recours, manque d’efficacité pour aborder cette complexité. En revanche, le fait d’adopter une méthodologie permet de guider l’intervention du
gestionnaire.
Les conflits révèlent que les seuils de tolérance entre usagers ont été dépassés. C’est pourquoi, si la résolution durable du problème doit satisfaire les plans juridique, technique ou économique, elle doit également intégrer les attentes de l’ensemble des parties. L’enjeu principal de la démarche tient donc au fait que les communautés d’usagers s’approprient ou non la solution retenue.
Aborder le conflit sous toutes ses dimensions
Pour résoudre les conflits, il est deux principes fondamentaux. Le premier veut qu’on appréhende la situation territoriale afin d’aborder le problème dans sa complexité. Le gestionnaire analysera et nuancera les avis des acteurs ; son diagnostic balayera également les divers aspects du problème.
– Sur le plan technique : existe-t-il des incompatibilités physiques entre les usages ? Le chemin est-il trop étroit pour que se croisent un VTT et un piéton ? Le passage de 4X4 détériore-t-il le revêtement du chemin ? Les clôtures pour le bétail sont-elles laissées ouvertes ?
– Sur le plan environnemental : le passage répété des usagers dérange-t-il la faune et la flore ? La circulation sur le chemin permet-elle d’éviter un éparpillement sur des zones fragiles limitrophes ?
– Sur le plan juridique : quels risques prend le propriétaire en terme de responsabilité ? Quels droits d’usages s’appliquent ?
– Sur le plan économique : l’entretien est-il coûteux ? La présence des randonneurs procure-t-elle des retombées locales ?
– Sur le plan psychosociologique : les habitants mitoyens du chemin sont-ils souvent dérangés par les promeneurs ou, au contraire, apprécient-ils ce passage ? Les usagers de passage ont-ils le sentiment d’être sur un territoire accueillant et apprécient-ils de partager l’espace avec les autres ?
Il convient à la fois de se saisir des nuisances et des richesses apportées par la diversité des usages. La prise en compte des intérêts divers facilite le recul nécessaire pour dépasser les divergences initiales.
Le diagnostic doit également permettre de relativiser les enjeux territoriaux et relationnels en les resituant à différentes échelles de territoires. À l’échelle du lieu où il apparaît, le gestionnaire analysera le système d’interactions entre les usagers, il considérera chaque pratique en tenant compte à la fois du chemin et des espaces qui le bordent. Il cherchera à savoir quelles sont les marges techniques (équipement, déviation, signalétique) qui peuvent modifier ces interactions.
À l’échelle de la commune, le diagnostic s’intéressera aux jeux des acteurs locaux, aux projets politiques, aux conséquences du conflit sur l’ensemble du réseau de chemins.
À l’échelle de territoires plus vastes (PNR, PN, massif montagneux, département…), il faudra identifier s’il existe des conflits similaires, si le lieu concerné est particulièrement stratégique pour le développement des sports de pleine nature et du tourisme ; il est aussi très utile de connaître quelles ressources (en médiation, en information…) ont été utilisées pour réguler des conflits similaires.
Se concerter et trouver des solutions négociées
Second principe d’intervention : privilégier la concertation et la négociation (même si d’autres modes de décisions unilatérales peuvent s’avérer utiles quand la négociation se bloque).
La concertation commence lors de l’élaboration du diagnostic, en prenant l’avis des parties impliquées et en présentant les positions qu’elles ont prises pour défendre leurs intérêts. Elle continue lors de la validation du diagnostic et de l’identification de solutions. Elle vise alors à s’assurer que ces dernières sont acceptables pour tous. Idéalement, le choix des solutions doit résulter d’une négociation et être partagé par l’ensemble des responsables.
Dire que cette dernière phase doit être le résultat d’une négociation peut paraître d’une grande banalité, cependant cette phase échoue facilement. Les deux étapes précédentes sont alors primordiales pour éviter les écueils : elles permettent aux acteurs de se rapprocher, de comprendre leurs intérêts respectifs et de s’approprier la démarche. La méfiance et l’affrontement initiaux pourront alors s’effacer au profit du respect, voire du partenariat.