Un musée de la mémoire orale
Comment passer d’un projet scientifique (le recueil de la mémoire) à sa présentation au public, sans trahir l’esprit du matériau et en soutenant l’intérêt des visiteurs ? Rencontre avec Claude Perset, scénographe, et Antoine Perset, réalisateur.
Un musée de la parole. De quoi s’agit-il ?
Claude Perset : Cinquante minutes de bande-son, en occitan, constituées des enregistrements d’un ethnologue, puis montées et mises en images ; et présentées au mas Chaptal dans le Parc national des Cévennes.
Au départ, le comité de pilotage du parc nageait un peu. Une chose était sûre, nous ne voulions pas faire de réalisation TV.
Pour ma part, tout a basculé après avoir visité le mas Chaptal. J’ai été convaincu qu’il fallait quelque chose de totalement dépouillé, sans décor. L’austérité. Seul le récit devait compter : le mur, la charpente, des bancs en bois et la structure métallique sur laquelle repose la projection.
D’ailleurs, beaucoup de choses ont été faites sur place : la menuiserie, la serrurerie… La responsable du projet au parc, Ingrid, nous a beaucoup aidés en ne lâchant jamais le morceau ! Il faut de la ténacité pour faire quelque chose ! Plus d’un an et demi, en gros…
Par quel bout avez-vous commencé ?
Claude Perset : J’avais lu l’ouvrage de Pierre Laurence, sur lequel devait être construit le scénario du spectacle : il s’en dégage une impression de mélopée par la superposition d’histoires parfois répétitives, le passage du général au particulier, qui m’a inspiré pour construire la scénographie. C’est pour cela qu’il y a deux niveaux d’écrans : devant, des moniteurs vidéos et, derrière, les projections sur le mur. À un troisième plan, une connivence se crée entre les images et les fenêtres ouvertes sur le paysage : comme un appel vers l’extérieur ; une continuité.
Vous connaissez bien l’univers des Cévennes pour y avoir tourné de nombreuses années… De quoi êtes-vous partis pour réaliser ce film ?
Antoine Perset : Ma mission consistait à illustrer une longue séquence de textes parlés. L’idée initiale du maître d’ouvrage était de faire du terme à terme : s’il est question de panier, on montre un panier ; si on parle de châtaignes, on voit des châtaignes… Je leur ai dit ce que j’en pensais (que c’était complètement débile !) et qu’il fallait un peu de licence poétique. Au début, le maître d’ouvrage était un peu rétif. Il a fallu deux ans pour le convaincre, pendant lesquels je suis venu deux ou trois fois par mois dans les Cévennes. Là, je marchais afin de trouver les lieux en correspondance avec ce que j’imaginais.
Je savais ce que je voulais faire mais c’était un peu difficile à exprimer pour convaincre le comité de pilotage. Un moment, j’ai cru que je n’y arriverais pas ! Heureusement Daniel, le chef de projet, était assez fin, assez intelligent pour comprendre.
J’ai proposé une maquette avec plusieurs versions d’images, de l’eau ici, des petites fleurs là… Le chapitrage permettait de rendre le montage des textes moins indigeste. Il y a eu de longues discussions : l’image devait rester « à l’arrière ». Il s’agit d’abord d’un musée de la parole.
L’idée d’illustrer s’est alors éloignée. L’illustration est devenue évocation : d’ailleurs comment voulez-vous illustrer l’idée des fées ? Un climat onirique, un rêve, une approche sensible ?
Mes premières images datent des années 70. J’ai commencé à archiver très jeune, j’avais à peine 15 ans. J’ai introduit ces images dans le montage, avec d’autres, plus récentes.
Souvent les visiteurs arrivent là par hasard. Par quoi sont-ils intéressés ?
Claude Perset : Ce public est très particulier ! Il est acquis dès l’arrivée. Il a choisi de parcourir le sentier et, arrivé là, après avoir arpenté ces régions parfois assez austères, il est prédisposé à entrer en sympathie avec ce que nous proposons.
Avec les deux écrans prévus par la scénographie, nous avons conçu deux niveaux de lecture simultanés : l’un plus poétique ; l’autre plus documentaire pour expliquer certaines notions que le visiteur ne peut pas deviner : ce qu’est un scieur de long, par exemple, à quoi peut ressembler un gibet (le « serre des pendus »).
En même temps, cela permet aux spectateurs de se reconnecter au fil du récit : l’attention n’est jamais continue, elle monte et elle baisse, forcément… Ils peuvent alors se raccrocher à un détail, et cela stimule leur écoute. Si je devais le refaire pourtant, je marquerais davantage la présence des saisons : elles correspondent à certains types de travaux, à certains contes ou histoires, elles donnent la dimension de la durée, du temps.