Patrimonial

 

Espaces naturels n°25 - janvier 2009

Des mots pour le dire

Éric Binet
Haut fonctionnaire chargé de la terminologie et de la néologie en matière d’environnement au ministère en charge de l’Écologie

 

« Reconnaître la valeur patrimoniale de telle ou telle espèce, c’est la resituer dans la durée et considérer qu’elle doit être transmise. »

Génétique, naturel ou culturel, le patrimoine a gardé de son acception notariale le sens d’un héritage reçu, l’affirmation d’une continuité intergénérationnelle. Dire du patrimoine qu’il est un bien rappelle qu’il est à la fois une réalité matérielle et une valeur pour l’esprit. Ainsi, le code du patrimoine est-il celui de la culture.
Ce qu’une société regarde comme son propre patrimoine, c’est-à-dire l’essentiel qu’elle veut pouvoir transmettre, est ainsi un bien commun : initialement ce qu’elle apprécie comme exceptionnel ou rare mais, aussi, ce qui lui paraît représentatif de son milieu de vie et de son art de vivre. Et, pour le moins, elle souhaite que les générations futures disposent des conditions de possibilité de toute vie.
La conscience du caractère limité de nos ressources et passager de nos civilisations nous interroge sur ce qui est insoutenable et ce qui est durable. Le succès de l’adjectif patrimonial signifierait-il que, touchés là où nous sommes vulnérables, dans notre rapport au temps coupé par la mort, nous craignons une rupture dans la transmission des biens ?
Reconnaître la valeur patrimoniale de telle ou telle espèce, de tel ou tel espace, c’est donc les resituer dans la durée et considérer qu’ils doivent pouvoir être transmis.
À la fois culturel et économique, ce langage a un fort pouvoir fédérateur. Il tend à considérer la nature comme un actif précieux dont les services sont à rémunérer. Ce qui ouvre à une authentique « gestion patrimoniale » qui suppose de pouvoir donner un prix à ce qui était jusqu’alors « sans prix », d’identifier les « consentements ou non à payer », mais aussi de rendre des comptes.
Alors, le « patrimonial » nous pose la question : après calcul des actifs et des passifs, en quel état les biens qui nous ont été légués seront-ils reçus par ceux qui nous suivent ? Nos prélèvements n’auront-ils touché que les intérêts ou rogné sur le capital ? Celui-ci aura-t-il été maintenu, dilapidé, accru ou englouti ?
Comme la valeur d’un bien dépend des choix qui sont faits à son égard, le périmètre du « patrimonial » peut évoluer. Une connaissance comparative est indispensable pour déterminer ce qui est exceptionnel, ce qui est rare ou le devient, et ce qui est représentatif.
Sur certains de ses champs, le patrimonial s’est vu consacré par des règles de protection, mais s’il englobe les espèces et espaces protégés, il ne saurait s’y réduire.
Entre charges, droits, prescriptions et contrats, entendant concilier conservation et développement, le patrimonial n’est pas un conservatisme qui ferme l’avenir en croyant maintenir un passé déjà révolu, un pur théâtre de la mémoire, une muséalisation généralisée, mais il identifie des ressources, affirme un potentiel pour demain et choisit une continuité et un legs possibles.